Une autre guerre a débuté, celle du jour d’après ; pour le jour d’après la pandémie, les patrons peaufinent les arguments pour préserver les acquis de la politique de Macron et pour rajouter encore plus d’austérité, alors que les remises en cause de leur système sont de plus en plus partagées.

Geoffroy Roux de Bézieux, le président du MEDEF, avait convoqué le journal officiel de la vieille France, Le Figaro, pour proclamer : « Il faudra bien se poser la question tôt ou tard du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise. »

Dans la même interview, il appelait les entrepreneurs à relancer leur activité : « La reprise, c’est maintenant. » L’argument de solidarité avec les soignants est imparable : on a besoin de tous les salariés pour « nourrir les soignants ».

Une si sunite compassion pour les soignants en détresse est suspecte.

Geoffroy Roux de Bézieux, issu d’une famille anoblie peu avant la Révolution, élevé à l’Institution Notre-Dame de Sainte-Croix à Neuilly, étudiant à Dauphine et ancien commando de marine, est un premier de cordée ; il manifeste habituellement peu d’empathie pour le bas peuple, ceux qui n’ont rien.

Réfugié dans son manoir de Pornic pour échapper au confinement, il ne se soucie guère des conditions de reprise et des nécessaires protections à apporter aux salariés convoqués pour redresser le pays. Sa solidarité a des limites ; n’a-t-il pas donné un piètre exemple aux 200 000 Parisiens qui ont fui la capitale comme tous les nobles et bourgeois qui, en 1791, avaient été 30 000 à quitter Paris après la fuite ratée de Louis XVI à Varenne et la prise des Tuileries ?

Son interview dans Le Figaro est très politique ; il exhorte Emmanuel Macron de décréter, lui aussi, que « la reprise, c’est maintenant » pour les salariés, pas pour les patrons et les actionnaires. Ceux-ci conserveront leurs salaires exorbitants, leurs retraites chapeau, leurs dividendes.

Agnès Verdier-Molinié, le perroquet des libéraux de tout poil, est venu renforcer l’appel à Macron :

« Que la BCE demande aux banques de reporter le versement de leurs dividendes se comprend tout à fait. Que l’État lui-même renonce à ses dividendes aussi. Qu’il pense à priver de tout ou partie de leurs dividendes les actionnaires des grandes entreprises, qu’ils soient investisseurs institutionnels, assureurs vie, investisseurs industriels, petits porteurs et/ou retraités est proprement incroyable. Qu’il le fasse alors que toute la pédagogie de ce quinquennat a été depuis 2017 d’appeler à financer au maximum nos entreprises (y compris par l’assurance vie, y compris par les retraites supplémentaires) est incompréhensible. Qu’il en fasse une ligne de sa gestion de crise alors que toutes ses actions tendent à favoriser la circulation du cash est une hérésie. Pourquoi priver l’économie d’une irrigation de plus de 50 milliards d’euros ? A-t-on comme objectif de renforcer le choc de demande dont nous souffrons déjà énormément ? »

Ah ! Les vertus du ruissellement, cher au président de la République… Mais que de bêtises en si peu de lignes.

Geoffroy Roux de Bézieux est écouté et entendu à l’Elysée et ailleurs ; cela a été largement prouvé avant la pandémie. Mais il est insatiable. Il en veut toujours plus. Il peut compter sur les ministres qui occupent actuellement Bercy pour traduire ses demandes en textes de lois ; Le Maire et Darmanin ont compris le message et préparent déjà décrets et ordonnances supervisés par la directrice des affaires juridiques des ministères de l’économie, des finances, de l’action et des comptes publics. La directrice en question, Laure Bédier, n’est autre que la sœur cadette de Geoffroy Roux de Bézieux et l’épouse de l’ancien directeur de Carrefour ; celle-ci a été la directrice de l’AP-HP pendant plus de 6 ans. Les cures d’amaigrissement des hôpitaux, elle connaît.

A ceux qui auraient l’audace de s’offusquer de sa proximité avec le patron du MEDEF, le grand frère répond : « Absolument pas, il n’y a aucun conflit d’intérêts ! ».

On veut bien le croire, mais l’entre soi ne relève plus du hasard. Il fait système.

La guerre du jour d’après est donc engagée ; libéraux, nobles, bourgeois, patrons (grands et moins grands), leurs affidés, au premier rang desquels les éditorialistes, ont débuté les grandes manœuvres. L’ancien commando de marine prépare ses troupes. Depuis Pornic, où il a replié l’état-major. Ou depuis Paris, où les lieutenants font le travail.