Gaspard Koenig, philosophe et écrivain, a répondu à la sollicitation de la très belle collection Tracts de crise de Gallimard. Toujours très affairé, cette ‘’assignation à résidence’’ lui a fait éprouver un sentiment de libération. Son texte, intitulé Ralentir, est une réflexion sur « l’accélération perpétuelle, épuisante, destructrice » de notre société. Le coronavirus, comme révélateur ! Qui l’eut cru ?
Gaspard Koenig confesse etre un privilégié et reconnaît volontiers que « Pour prendre son temps, encore faut-il en avoir les moyens ». Dont acte de cette prise de conscience.
Gaspard Koenig m’a rappelé aussitôt une superbe fable de Luis Sepulveda, Histoire d’un escargot qui découvrit l’importance de la lenteur (Métailié) que mon fils m’avait offerte. J’ai rouvert son livre quand j’appris que Luis Sepulveda venait d’être emporté par le coronavirus ; le combattant de toujours a perdu son dernier combat. Lui qui avait connu les prisons de Pinochet pour ses idées communistes, puis l’exil, la révolution sandiniste, lui qui avait partagé la vie des Indiens Shuars au Nicaragua et étudié ‘’l’impact de la colonisation sur les populations amazoniennes’’ à la demande de l’UNESCO, lui qui avait rejoint les combats de la Fédération internationale des droits de l’homme, lui qui avait été à l’initiative du salon du livre ibéro-américain, lui qui avait également embrassé la profession de journaliste, laisse une œuvre à part. Sepulveda était un merveilleux conteur.
Son Histoire d’un escargot qui découvrit l’importance de la lenteur était née d’une question de son petit-fils, Daniel : « Pourquoi l’escargot est-il si lent ? » Son court livre « essaye de répondre à cette question », comme il le confesse en guise de prologue.
Mais cette fable n’est pas seulement un livre pour enfant. C’est une profonde réflexion sur le temps qui passe, trop vite pour voir ce qui se passe autour de soi, dans la nature. Ses escargots vont de découverte en découverte, du hibou aux tortues, en passant par les fourmis et s’émerveillent de la beauté de la nature. Sepulveda s’interroge aussi sur l’importance de la mémoire.
A moins qu’il ne soit une fable pour les jeunes de 7 à 77 ans, son livre s’adresse aux adultes qui sont emportés dans un tourbillon et ne prennent plus le temps de vivre.
Sepulveda écrit avec humour et ironie, dans une très belle langue. Il a beaucoup utilisé la parabole des animaux pour s’évader (nous évader), nous ramener à l’essentiel de la vie et à la lutte, toujours la lutte contre toutes les oppressions. L’escargot de Sepulveda voulait connaître les raisons de la lenteur et avoir un nom. La tortue rencontrée sur le chemin l’appela Rebelle, parce que « quand un être humain posait des questions embarrassantes du genre ‘’Est-il nécessaire d’aller si vite ?’’ ou ‘’A-t-on vraiment besoin de tant de choses pour être heureux ?’’, ils l’appelaient rebelle. »
Rebelle, comme Luis Sepulveda !
La littérature perd un grand conteur, la nature un grand défenseur et les hommes opprimés une boussole pour se libérer.
Le coronavirus a trop vite emporté celui qui nous avait appelé à prendre conscience de l’importance de la lenteur (qui n’est pas à confondre avec l’inaction) pour vivre, regarder, aimer, lutter.