L’Humanité est aujourd’hui le seul média capable de rappeler que, oui, « notre fête nationale célèbre une émeute » et que « le 14 juillet qui se prépare est une fiction » avec une brillante interview d’Eric Vuillard, prix Goncourt et auteur entre autres de 14 Juillet.

Aujourd’hui, il n’est pas inutile de remettre l’histoire de France à l’endroit parce que la fête nationale est un événement « en quelque façon impossible de commémorer. Le 14 juillet qui se prépare est une fiction (…) Il est tout à fait improbable qu’une seule personne parvienne à entr’apercevoir, serait-ce même une caricature de la Révolution française, à travers une poignée de canons Caesar, un déploiement exceptionnel des forces de l’ordre autour des quartiers populaires, et un discours du chef de l’État. Tout cela fait partie d’une représentation illusoire, postiche. Nous aurons donc un 14 Juillet officiellement contre le peuple, contre les banlieues. Un 14 Juillet pour vendre quelques Rafales supplémentaires à l’Inde, nos fameuses « forces morales ».

Eric Vuillard revient aussi à Victor Hugo qui, dans Les Misérables, « définit l’émeute, réputée aveugle, ignorante de ses causes et de ses désirs, comme le premier pas vers un mouvement révolutionnaire, il se refuse à la disqualifier (…) Il en fait une vérité abrupte, raboteuse, mais impérissable, qui revient sans cesse, contre un impôt scélératou une énième violence de l’ÉtatElle est la réfutation spontanée, récurrente de ce qui opprime, une menace à l’ordre établi. Ainsi, ne peut-on pas voir dans le soulèvement de ceux qu’offusque la mort d’un jeune homme, un chapitre déchirant de cette sourde douleur qui traverse la vie sociale ? Et ne peut-on pas voir dans le fait que la plupart des personnes arrêtées étaient « sans antécédents judiciaires »non seulement un démenti flagrant de ceux qui attisent le mépris social, mais le signe d’une colère qu’il n’est pas indigne de partager ? »

Eric Vuillard dénonce « une époque sans précédent d’accroissement des inégalités, de concentration du pouvoir entre quelques mains, et la domination d’un petit groupe de privilégiés est sur le point de devenir mondiale. Nous assistons à une régression idéologique d’avant les Lumières. C’est pourquoi, dans le contexte où nous sommes, la pensée des Lumières redevient une ligne de défense. Contre les tenants hypocrites de Machiavel, il faut s’en tenir à Montesquieu et à Rousseau. »

Eric Vuillard voit dans la France d’aujourd’hui une guerre civile contre les nuisibles, contre la majorité des gens, avec des Bolloré qui cherchent à « s’approprier toute la chaîne du savoir » pour accélèrer la régression idéologique et nous asservir davantage.

Les paroles d’Eric Vuillard sont d’une grande lucidité et plutôt réconfortante dans le climat qu’on tente d’instaurer en France. Il y a encore des intellectuels pour se rébeller et appeler à la mobilisation contre toutes les régressions, contre le racisme et l’exclusion : « Le discours critique à l’égard des Lumières, qui était jadis émancipateur et souhaitait aller au-delà des exigences trop formelles des philosophes, doit aujourd’hui se raviser ; il faut défendre ces exigences formelles, puisqu’elles sont à présent menacées. »

La mobilisation de tous pour prendre la Bastille d’aujourd’hui est impérieuse pour pouvoir enfin célébrer une émeute émancipatrice.