C’est l’histoire incroyable (pour ceux qui n’ont rien) d’un petit tableau (45,4 cm sur 65,6 cm) attribué à Léonard de Vinci vendu 45 livres sterling en 1958, puis acheté 83 millions de dollars en 2013 par Yves Bouvier, un marchand d’art de Genève et revendu trois jours plus tard 127,5 millions (toujours en dollars) et qui, le 15 novembre 2017 est vendu aux enchères par son dernier propriétaire, le sulfureux Dmitri Rybolovlev, 450 millions de dollars.

Salvator Mundi,c’est le nom de cette toile en mauvais état du maître italien, est le témoignage de toutes les perversions d’un système capitaliste où l’œuvre d’art n’est plus qu’une marchandise à acquérir pour affirmer son rang et s’imposer à l’autre riche, pour montrer ses capacités d’investissement et affirmer sa puissance.

Ils sont quelques-uns dans le monde à mettre beaucoup d’argent pour faire main basse sur une œuvre d’art, patrimoine de l’humanité.

Alors que des humains crèvent de faim partout dans le monde, des capitalistes, qui ont exploité leurs salariés sans vergogne, sont capables de dépenser des centaines de millions pour un petit tableau (fût-il l’œuvre d’un génie) qui sera caché à la vue du plus grand nombre, ou exposé à la vue du seul possédant sur les murs d’une luxueuse demeure, préservée comme un coffre-fort

Darius Spieth, professeur d’art à l’université d’Etat de Louisiane, attribue le montant de cette vente record « à l’euphorie des marchés boursiers, étroitement corrélés au marché de l’art depuis 40 ans. »,rapporte Le Point qui poursuit : « En attendant, « tout se vend », conclut-il. « Quoi que vous proposiez, tout trouve acquéreur. »

Qui ose encore parler de crise ?

Et, surtout, pas un mot pour s’émouvoir de tels comportements, significatifs d’une morgue de classe. Le petit peuple est considéré comme ignare et imperméable à la beauté de l’art ; les élus du fric-roi seraient les seuls à pouvoir communier avec les artistes et à ressentir une émotion devant une œuvre.

François Pinault, qui s’est offert l’ancienne bourse du commerce de Paris pour exposer une partie de sa collection (l’autre est déjà au Palazzo Grassi  et à la pointe de la Douane à Venise), est le propriétaire de Christie’s, leader mondial des enchères. Il contrôle également le Point ; son hebdomadaire est dès lors légitime pour expliquer à ses lecteurs les dessous du marché de l’art. Selon le Point donc, la société de vente aux enchères Christie’s a usé d’un « marketing très osé » « Tournée mondiale, jusqu’à Hong Kong, avec des queues interminables à chaque fois, annonce en grande pompe de la vente plus d’un mois à l’avance, Christie’s a savamment créé le « buzz » autour de l’événement. « Le monde regarde » (« The World is Watching »), disait le titre d’une des vidéos promotionnelles de la vente, qui habilement ne montrait pas le tableau, mais des visiteurs venus l’admirer, parfois les yeux embués par l’émotion, parmi lesquels Leonardo Di Caprio ou Patti Smith (…) Christie’s n’a rien dit de l’identité de l’acquéreur, mais beaucoup pensent à cette nouvelle génération d’acheteurs très fortunés, dont certains « achètent de l’art pour faire du bruit », pour « se montrer », décrit un expert américain en évaluation d’oeuvres d’art, sous couvert d’anonymat (…) Ces collectionneurs veulent davantage posséder une marque qu’une vraie oeuvre. »

Ah, l’émotion des collectionneurs, les yeux embués (à ce prix-là n’est-ce pas normal !) après avoir emporté l’enchère d’un Picasso, d’un Monet, d’un Koons ou d’un Léonard de Vinci ! Ah, le bonheur d’être l’élu à la barbe des autres riches ! Ah, la fierté d’être le temps d’une enchère le plus dispendieux d’entre les riches et de pouvoir étaler une part infime de sa fortune !

L’art comme baromètre de sa réussite… Depuis les mécènes, les riches n’ont-ils donc pas changé malgré les évolutions et les révolutions ? Ou les révolutions ne sont-elles encore pas à faire ?