Jean-Marie Gustave Le Clézio a connu plusieurs ruptures au cours de sa vie. Rupture familiale avec l’éloignement de son père, un médecin britannique en poste en Afrique, qui lui vaudra d’être élevé par deux femmes, sa mère et sa grand-mère. Rupture avec les institutions quand, coopérant en Thaïlande, il découvre et dénonce la prostitution, ce qui lui vaut une mutation. Rupture avec l’inspiration de sa jeunesse pour découvrir de nouvelles voies romanesques. Rupture le ‘’nouveau réalisme’’ et avec le surréalisme pour une plus grande liberté.

Le Clézio s’interroge en permanence sur la littérature, la création et ‘’l’art du roman’’.

Le prix Nobel 2008 est aussi un révolté ; s’il dénonce les conditionnements culturels, il n’est pas un écrivain engagé comme le furent Jorge Amado ou Gabriel Garcia Marquez. Sa parole est rare, mais ô combien pertinente et précieuse !

Il a connu une vie errante qui l’a conduit notamment au Mexique où il s’imprégnera de la culture et de la mythologie indienne et amérindienne ; sa pensée se nourrit d’altermondialisme et, avec l’écrivain mauricien Issa Asgarally, il crée la Fondation pour l’Interculturel et la Paix.

Lors d’un colloque les 26 et 27 mai 2009 à Séoul sur le thème‘’L’intégration / exclusion des minorités à la lumière de l’interculturel’’, Issa Asgarally lira un texte de Le Clézio dans lequel il note : « La crise mondiale que nous traversons – non seulement économique mais aussi philosophique et écologique – est plus qu’un avertissement. Dans le combat pour l’interculturel, il ne saurait y avoir d’acteur secondaire. Chaque voix, chaque visage est indispensable pour réaliser notre liberté collective, si chèrement acquise. »

Dans son allocution de remise du titre de docteur Honoris Causa de l’université de l’île Maurice, il déclare : « Doit-on construire son identité sur une territorialité, sur une communauté historique, sur une caractéristique tribale ou culturelle ? Alors se multiplient les barrières, les exclusions. »

Le Clézio affirmera plus encore sa conception du rôle de l’écrivain ; dans son discours de réception du prix Nobel, il prononcera un beau plaidoyer sur le rôle de la littérature : « Lorsque, au siècle dernier, les théories racistes se sont fait jour, l’on a évoqué les différences fondamentales entre les cultures. Dans une sorte de hiérarchie absurde, l’on a fait correspondre la réussite économique des puissances coloniales avec une soi-disant supériorité culturelle. Ces théories, comme une pulsion fiévreuse et malsaine, de temps à autre ressurgissent ça et là pour justifier le néo-colonialisme ou l’impérialisme (…)Aujourd’hui, au lendemain de la décolonisation, la littérature est un des moyens pour les hommes et les femmes de notre temps d’exprimer leur identité, de revendiquer leur droit à la parole et d’être entendus dans leur diversité. »

Au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdoet de la marche du 11 janvier 2015, Le Clézio adressait une lettre publique à sa fille, dans laquelle il dénonçait certains clichés dont on nous abreuvait alors : « J’entends dire qu’il s’agit d’une guerre. Sans doute, l’esprit du mal est présent partout, et il suffit d’un peu de vent pour qu’il se propage et consume tout autour de lui. Mais c’est une autre guerre dont il sera question, tu le comprends : une guerre contre l’injustice, contre l’abandon de certains jeunes, contre l’oubli tactique dans lequel on tient une partie de la population (en France, mais aussi dans le monde), en ne partageant pas avec elle les bienfaits de la culture et les chances de la réussite sociale (…) Trois assassins, nés et grandis en France, ont horrifié le monde par la barbarie de leur crime. Mais ils ne sont pas des barbares. Ils sont tels qu’on peut en croiser tous les jours, à chaque instant, au lycée, dans le métro, dans la vie quotidienne. A un certain point de leur vie, ils ont basculé dans la délinquance, parce qu’ils ont eu de mauvaises fréquentations, parce qu’ils ont été mis en échec à l’école, parce que la vie autour d’eux ne leur offrait rien qu’un monde fermé où ils n’avaient pas leur place, croyaient-ils. A un certain point, ils n’ont plus été maîtres de leur destin. Le premier souffle de vengeance qui passe les a embrasés, et ils ont pris pour de la religion ce qui n’était que de l’aliénation. C’est cette descente aux enfers qu’il faut arrêter, sinon cette marche collective ne sera qu’un moment, ne changera rien. Rien ne se fera sans la participation de tous. Il faut briser les ghettos, ouvrir les portes, donner à chaque habitant de ce pays sa chance, entendre sa voix, apprendre de lui autant qu’il apprend des autres. Il faut cesser de laisser se construire une étrangeté à l’intérieur de la nation. Il faut remédier à la misère des esprits pour guérir la maladie qui ronge les bases de notre société démocratique. »

Ces paroles sont particulièrement fortes, tellement d’ailleurs qu’elles ont été tues par les grands médias

JMG Le Clézio s’il a connu des ruptures dans sa vie littéraire, n’a pas varié dans son positionnement moral et humaniste. Il reste d’une grande rigueur sur les questions de société et des ghettos que les pays occidentaux continuent d’alimenter par les multiples rejets de ceux qui n’ont rien, en France et dans le monde.

Alors on ne sera pas étonné de lire dans une interview publiée dans le Journal du dimanche une nouvelle dénonciation de la politique d’Emmanuel Macron à l’égard des réfugiés : « Je ne suis pas un opposant à Emmanuel Macron et j’ai été choqué par la couverture de L’Obs le représentant derrière des fils barbelés. Je voulais exprimer mon opinion sur la question des migrants, sans être un porte-parole. Je reste scandalisé par la manière dont sont appliquées les directives du ministre de l’Intérieur. Il préconise de la fermeté mais, sur le terrain, on est au-delà de la fermeté. On continue à infliger de mauvais traitements à des gens sans défense. Fermer ou ouvrir les frontières reste une question, mais une fois que les gens sont en France, il est inacceptable de mal les traiter (…) Je suis en faveur de l’ouverture des frontières. Suis-je trop idéaliste? Partout dans le monde, nous nous laissons trop dominer par la peur. Il faut rappeler que Barack Obama n’a pas été un président angélique. C’est sous son règne qu’il y a eu le plus d’expulsions d’immigrés clandestins. Je suis reconnaissant à Emmanuel Macron de nous avoir débarrassés, à la présidentielle, de Marine Le Pen, mais il devrait davantage tenir compte des défavorisés. Je ne suis pas déçu par Emmanuel Macron, dans son rôle de président, mais il reste beaucoup de choses à corriger. Améliorez-vous, monsieur Macron ! »

JMG Le Clézio est un écrivain immense, même si, parfois, il est aride ; mais c’est un aussi un homme immense, la voix des sans-voix. Il a su parler, mieux que d’autres, d’un monde qui n’est pas la construction des seuls Blancs, mais le résultat de l’addition de tous, quelle que soit la couleur de leur peau, quel que soit leur pays, quelle que soit leur culture. Il nous rappelle en permanence qu’il n’y a pas de culture minoritaire. C’est réconfortant de l’entendre dire aujourd’hui, quand le monde est plongé, souvent, dans l’obscurantisme.

Décalé et dérangeant, aujourd’hui, Le Clézio ? Sans doute, car on n’entend guère sa voix, celle de la fraternité humaine et de la solidarité.