Le président de la « start-up nation »s’est rendu à l’Académie française pour prononcer un discours sur l’avenir radieux de la langue de Molière. Le petit Emmanuel n’a pas manqué de culot (il est vrai qu’il fait toujours preuve d’un extravagant aplomb et d’un mépris permanent) en allant vers ceux qui élaborent notre dictionnaire pour expliquer pourquoi il s’exprime aussi souvent la langue de Shakespeare dans des discours censés expliciter sa pensée complexe :

« Je n’hésite jamais à m’exprimer à la fois en français et en anglais, sur des scènes internationales, devant des milieux d’affaire. Je pense que ça renforce la francophonie de montrer que le français n’est pas une langue enclavée, mais une langue qui s’inscrit dans le plurilinguisme. Je considère que c’est la bonne grammaire pour défendre le français partout dans les enceintes internationales (…) Je ne fais pas partie des défenseurs grincheux. » 

La francophonie renforcée par l’utilisation du franglais et le plurilinguisme défini comme la bonne grammaire pour défendre le français ? C’est Tartuffe revisité !

Il est étonnant que dans ce lieu suranné, poussiéreux mais prestigieux aucune voix ne se soit élevée pour s’étonner de telles paroles.

Le président était venu annoncer quelques mesures pour prétendument développer la francophonie. Comme si quelques millions d’euros suffisaient pour renforcer une langue de plus en plus malmenée et étouffée par l’usage mondial de l’anglais. La langue française ne s’achète pas (mais Macron, lui, baigne dans un milieu, celui de la finance, où tout a un prix) ; son universalisme reposait sur l’aura de notre culture, sur les idéaux de la Révolution, non sur le franc. 

Le président peut-il vraiment croire que les mesures annoncées à l’Académie suffiront à ‘’développer’’ la francophonie ? Son opération de communication (permanente) ne trompe personne et surtout pas cette France qui est en train de se lever contre une politique de casse des ‘’conquis’’ sociaux.

Le Sénat, lui, ne s’est pas trompé non plus, qui a noté « la pauvreté budgétaire »des crédits affectés dans la loi de finances pour 2018 à l’Institut français (regroupant tout le réseau d’action culturelle), en diminution de « plus de 11 % en six ans »et un maintien par rapport à 2017. 

Au cours de l’été 2017, le site pour les francophones résidant aux Etats-Unis, French Morning, avait déjà relevé la duplicité de Macron : « Le gouvernement a décidé d’annuler plus de 165 millions d’euros de crédits de paiement inscrits au programme ‘’action extérieure de l’Etat’’, dont dépendent les Français de l’étranger (…) Quelques 163 millions d’euros d’autorisations d’engagement (qui correspondent à l’engagement juridique des dépenses) ont également été supprimés ».

Plus récemment, on a appris que la médiathèque de l’Institut français de Séoul va fermer ses portes. Ce n’est pas le seul établissement à être menacé à court terme.

Qui dit la vérité ? Le président de la « start-up nation »ou le président des riches qui pérore à l’Académie française ?

Quand il ne parle pas anglais, le président des riches travaille minutieusement le choix des mots empruntés à la langue française. Il mène ainsi une guerre sémantique qui ne laisse rien au hasard.

A propos du langage utilisé par le président et imposé à son entourage, Le Mondea publié un dossier qui s’appuie sur les études menées par Damon Mayaffre, chercheur au CNRS à Nice et spécialiste de l’analyse du discours, Mariette Darrigrand, sémiologue, et Cécile Alduy, professeure à l’université Stanford en Californie et chercheuse associée à Sciences Po. C’est dire son sérieux !

Les chercheurs ont noté que le langage présidentiel et gouvernemental s’appuie sur un « vocabulaire managérial ».

Pour Mariette Darrigrand, « Le paradoxe de Macron, jugé libéral, c’est que nous affaire à un hypertechnocrate, qui va travailler les dysfonctionnements de la machine de l’Etat, mais pas avec la langue de bois habituelle des hauts fonctionnaires. Il applique le vocabulaire de l’entreprise, sans prendre les gants de la noblesse d’Etat. »

Damon Mayaffre, lui, note : « Il aime bien le suffixe ‘’-tion’’. Les gens qui aiment le ‘’-tion’’ aiment peu les mots en ‘’-isme’’, qui font référence à l’idéologie, à un passé lointain. Macron les emploie peu, à l’exception notable du ‘’terrorisme’’. Transformation, gestion, innovation… On parle davantage du processus des choses, de la gestion de l’existant. Il y a un discours managérial, volontairement dépolitisé, qui apparaît. »

Le chercheur remarque la propension de Macron à utiliser les anglicismes : « En s’exprimant en anglais, il rompt deux tabous : la langue française et la langue de l’entreprise innovante. » Cécile Alduy note que « c’est une coloration ‘’Silicon Valley’’ superficielle (…) C’est un marqueur de classe à double tranchant. »

Mais, surtout, en réponse à la question « Y a-t-il une euphémisation dans le discours pour faire passer les réformes (optimisation pour plan d’économie, éloignement pour expulsion, libérer les énergies pour libéralisation) ? »la professeure de Stanford avoue : « Oh oui ! C’est là une donnée-clé de sa rhétorique : bien parler, avec un vocabulaire éthéré ou suranné, pour taire les conséquences forcément mixtes des mesures envisagées. Mais là encore c’est une tendance du discours managérial, surtout en gestion de ressources humaines. On peut citer ‘’libérer le travail’’ ou ‘’plan de sauvetage de l’emploi’’ qui est un comble d’inversion sémantique puisqu’on parle de plans de licenciement. Cela permet de faire avaler la pilule, de camoufler la violence sociale sous des expressions abstraites. »

Bref, le dossier du Mondeest précieux en ce qu’il démonte minutieusement le discours de Macron et d’En Marche et vient démontrer que le président des riches mène une guerre totale contre ceux qui n’ont rien, jusque dans le choix des mots !