J’ai déjà, ici, abordé la question de l’existence de Dieu. Quand je m’interroge sur son existence, je suis traité de blasphémateur et de provocateur par les catholiques (mais je n’obtiens aucune réponse) ; ma condamnation serait tout autant radicale par les islamistes, les bouddhistes, les juifs et combien d’autres. Si je ne peux pas apporter les preuves que Dieu n’existe pas, les croyants sont dans la même incapacité de prouver le contraire, malgré les prétendus miracles sur lesquels ils ont bâti une foi inébranlable.

Voilà que les journalistes de l’émission Le Temps du débat (France Culture) me plongent dans un abîme de perplexité à propos de Dieu. Eternelle question !

Durant tout le confinement, Emmanuel Laurentin et Rémi Baille ont invité des intellectuels à leur adresser des contributions pour alimenter une Conversation mondiale. Autant dire que les textes reçus sont de haute volée. L’un des derniers est venu d’Italie (ou plutôt des Etats-Unis) et de Carlo Ginzburg, professeur d’histoire moderne à l’université de Californie à Los Angeles, un esprit éclairé et brillant, sur le thème de la laïcité et de ses origines.

Son titre m’est apparu provocateur et blasphémateur : ‘’Dieu n’est pas catholique’’.

Ginzburg débute ainsi sa contribution :

« Dans le Dictionnaire des intraduisibles dirigé par Barbara Cassin, on lit, à la fin de l’article ‘’Sécularisation’’ (par Marc de Launay) que la laïcité peut être comprise soit ‘’comme une conséquence de la sécularisation lato sensu’’, soit ‘’comme une solution imparfaite de la question de la sécularisation. Dans les deux cas, la notion de sécularisation englobe la nation de laïcité. Mais qu’est-ce qu’on entend par ‘’sécularisation’’ ? »

Ginzburg explicite alors le titre de sa contribution.

Dans un numéro du quotidien Repubblica, en 2013, il était tombé sur un article , un dialogue entre Eugenio Scalfari, le fondateur du journal, et le pape Bergoglio, au cours duquel le pape avait prononcé la phrase-titre : ‘’Dieu n’est pas catholique’’.

Ginzburg, étonné, avait alors effectué des recherches et découvert qu’elle avait été prononcée par l’archevêque de Milan Carlo Maria Martini et que celui-ci était un jésuite, comme le pape Bergoglio.

En remontant encore plus loin, Ginzburg trouve l’origine de cette affirmation dans le catéchisme d’un missionnaire jésuite en Chine en 1603 ; celui-ci, Matteo Ricci présentait alors le christianisme sans la crucifixion du Christ, ni sa résurrection. Ginzburg cite alors une des Lettres provinciales de Pascal dans laquelle il fait observer que les jésuites « suppriment le scandale de la Croix, et ne prêchent que Jésus-Christ glorieux et non pas Jésus-Christ souffrant ».

Ginzburg en conclut alors en écrivant que « la stratégie missionnaire de la Compagnie de Jésus a été interprétée, de manière tour à tour favorable ou hostile, comme une ‘’heureuse synthèse’’ entre l’Evangile et la culture des autres peuples, ou bien comme une trajectoire vers la religion naturelle. C’est là une énigme – pour ceux aussi qui considèrent le pape Bergoglio, le premier pape jésuite, comme le dernier anneau d’une chaîne historique. »

Ginzburg termine en s’interrogeant : « Est-ce qu’on pourrait regarder la phrase ‘’Dieu n’est pas catholique’’ comme un épisode – imprévisible et ambigu – de la sécularisation ? Peut-être. Après tout, la sécularisation implique l’appropriation des instruments des religions – et l’inverse aussi, pourquoi pas ? L’adaptation est une forme de lutte. »

L’exposé est brillant. Et à lire religieusement!