Classement des personnalités préférées, des femmes et des hommes politiques, des sportifs, les séries télévisées ; la liste est longue des classements en tous genres. Il paraît que ‘’les gens aiment ça’’ ; affirmation absolue et définitive.
A l’évidence, ces palmarès remplissent les médias en périodes de ‘’moindre actualité’’ décrétées par les directeurs de rédaction, imbus d’eux-mêmes, prétentieux et, surtout, en mal d’inspiration.
Le Monde, journal de référence paraît-il, a sacrifié hélas à la fâcheuse tendance en établissant ‘’sa’’ liste des 100 romans qui, écrit-il, « avaient le plus enthousiasmé ses critiques au cours des soixante-quinze ans d’existence ». Sa liste m’avait irrité.
Le quotidien du soir s’est adressé à ses lecteurs pour établir la liste de leurs 100 romans préférés. Sa publication fait l’objet d’une publication sur 8 pages (ça remplit donc bien le journal !).
Ils sont 26 000 lecteurs à avoir répondu à la sollicitation (validant du même coup le fameux ‘’les gens aiment ça’’) permettant de dresser une liste de 11 000 titres. Mais le classement des 100 premiers, arbitraire, est déroutant : la saga Harry Potter est couronnée et il fallut allonger la liste jusqu’au 101epour que soit citée La condition humaine de Malraux.
Rien que cela suffit à décontenancer et à plonger un observateur fou de littérature dans la perplexité.
Hélas, il y a pire : la liste des 101 romans préférés des lecteurs du Monde est ‘’franchouillarde’’ avec 32 auteurs et 46 livres français cités. Malgré cela que d’oublis : Claude Simon, JMG Le Clézio, Roger Vailland, Annie Ernaux, Jean Echenoz, parmi les contemporains et bien plus encore avec les ‘’classiques’’ ! Pourquoi Pierre Lemaître et pas Nicolas Mathieu ? Pourquoi pas Rousseau et Voltaire ? Etc.
Les oublis les plus étonnants sont à relever dans la liste des auteurs et titres étrangers. Par exemple, elle ne comporte que deux auteurs sud-américains (Gabriel Garcia Marquez et Paulo Coelho) ; Jorge Amado, Borges, Cortazar, Vargas Llosa, Fuentes, Sabato, Lispector, Gabriela Mistral, Pablo Neruda et combien d’autres n’apparaissent pas. Harry Potter plutôt que la riche Amérique latine, quelle manque de goût et de culture !
On relève les mêmes oublis du côté de la littérature africaine, avec seulement deux auteurs cités, la Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie et le Rwandais Gaël Faye. C’est indécent.
Si 17 auteurs américains et 5 russes figurent au classement, que dire des littératures européennes : elles sont massacrées. Les lecteurs n’ont retenu que deux auteurs allemands (Süskind et Thomas Mann), trois auteurs italiens (Eco, Buzzatti et Ferrante), deux écrivains espagnols (Cervantès et Ruiz Zafon), un Gallois (Ken Follett), un irlandais (Oscar Wilde), un Suisse (Joël Dicker), un Autrichien (Stefan Zweig) et deux Tchèques (Milan Kundera et Franz Kafka). Point.
James Joyce, José Saramago, Elfriede Jelinek, Nikos Kazantzakis, Alberto Moravia, Pasolini, Leonardo Sciascia, Alberto Savino, Orhan Pamuk, Günter Grass, Heinrich Böll, Bertolt Brecht (et pourquoi pas Goethe, Schiller, Hölderlin, von Kleist, Rilke ?) Robert Musil, Herta Muller, Ionesco, Schnitzler, Zweig, Canetti pour ne citer que ceux qui, spontanément, viennent à l’esprit, ne figurent pas parmi les meilleurs choix des lecteurs. Accablant !
Au fond, ce n’est qu’un classement, un de plus donc, qui ne vaut que ce qu’on veut bien lui accorder comme crédit, mais qui en dit long sur les 26 000 lecteurs d’un quotidien dit de référence.
En se prêtant au jeu, il serait imaginable d’établir une liste de bien plus d’une centaine d’auteurs et de livres tout autant prestigieuse que celle-ci. Prouvant ainsi la fatuité de l’exercice. Pourquoi (et comment) comparer JK Rowling et Victor Hugo, Jean-Philippe Jaworski et Umberto Eco, Tolkien et Malraux ?
Le plus choquant dans le classement du Monde est la première place accordée à Harry Potter. La chroniqueuse du Monde des livres, Macha Séry, ne parle que de surprise. Vraisemblablement, un peu gênée, elle avoue : « Finalement, Le Monde a fait référence à Harry Potter dans 1166 articles depuis son irruption sur la scène littéraire. » Et si l’explication du choix des lecteurs ne devait rien au hasard ?
Le Monde, ‘’sa’’ liste et celle de ses lecteurs ne détourneront pas les vrais amateurs de livres de la vraie littérature. Au diable Harry Potter.