Les cheminots ? On aurait pu croire que c’est leur nouveau patron qui en parle le mieux. Jean-Pierre Farandou, qui vient de succéder à Guillaume Pépy, a donné une longue interview au Monde dans laquelle il est élogieux pour ‘’ses’’ personnels.
« Je connais bien la culture cheminote. C’est une culture de l’engagement, de la sécurité, de l’intérêt général, du service public et de la fierté d’apporter un bon service au client. Tout cela est excellent. Il faut surtout le garder. »
Ce n’est pas Emmanuel Macron (ni même Elisabeth Borne) qui tisserait autant de louanges à ces cheminots en grève depuis trois semaines en s’opposant à son grand dessein.
Le successeur de Guillaume Pépy, lui, a calculé ses paroles et mesuré la portée de ses mots ; s’il n’est pas passé par l’ENA, il sait à qui il doit d’occuper ce poste stratégique : il a vite appris le jargon technocratique et néolibéral : la culture cheminote est au service de clients et non d’usagers.
Alors, il faut relire l’interview pour bien comprendre que les termes choisis par le patron de la SNCF sonnent faux : la culture cheminote va devoir s’adapter au ‘’nouveau monde’’. M. Farandou a aussi intégré la casse du statut des cheminots ; la nouvelle année marque une vraie rupture pour les personnels :
« Les personnels seront embauchés avec un contrat de travail normal. »
Les usagers sont désormais des clients et les personnels auront un contrat de travail ‘’normal’’. Mais qu’est-ce qu’un contrat de travail normal, sinon un contrat revu à la baisse avec de nombreuses pertes d’acquis sociaux liés aux spécificités d’un travail sans interruption, de jour ou de nuit, jours fériés compris, etc.
On remerciera le journaliste du Monde de ne pas avoir esquivé la question qu’il fallait poser, à savoir :
« Performance, agilité, polyvalence… Ne craignez-vous pas un rejet par les cheminots de cette révolution culturelle et managériale ? »
M. Farandou, en vrai chantre de l’entreprise libérale, répond sans détour, car, comme Macron, il n’a aucun scrupule. Chaque phrase exprime le mépris pour les cheminots ; il maîtrise parfaitement l’antiphrase.
« On peut en attendre plus d’agilité, de polyvalence dans les métiers et, pour l’encadrement, une prise en compte plus importante de la performance dans l’évolution des rémunérations. »
La même phrase a été prononcée des centaines de fois par tous les patrons des groupes du CAC 40 et par ceux qui ont annoncé la mort de leurs services publics aves les mêmes mots, à France Télécom, à TF1, chez Elf, à Air France, dans les banques (Paribas, Société générale), dans les sociétés d’autoroutes, à GDF, etc.
La posture est immuable, frappée du sceau de l’évidence. Les cheminots ont compris ce que veut dire M. Farandou quand il ajoute, pour tenter d’éteindre la contestation :
« On va se contenter d’ajouter à cette base quelques petites doses d’agilité, d’audace, d’innovation, de responsabilisation et de décentralisation. »
Si la culture cheminote est empreinte de toutes les qualités dépeintes par le patron, pourquoi vouloir en changer, même à petites doses. Les cheminots ont toujours fait preuve d’agilité, d’audace, d’innovation, de responsabilité. Beaucoup plus que leurs dirigeants.
Il y a longtemps qu’ils ont dénoncé les menaces d’accidents comme celui qui a fait des victimes à Brétigny et ailleurs, le manque d’entretien du matériel et des infrastructures, l’abandon du fret, dont celui du train des primeurs, etc.
M. Farandou dit bien connaître la culture cheminote (il y travaille depuis 38 ans) et, pour cela, devrait les défendre, ‘’ses’’ cheminots ; mais comme de nombreux hauts cadres, acquis au libéralisme il se plie honteusement aux décisions politiques de casse des services publics et il va sacrifier la culture cheminote sans réticence.