Les analystes des discours publics ont remarqué que le mot ‘’progrès’’ (et tout ce qu’il sous-tend pour les citoyens) a disparu du vocabulaire des technocrates néo-libéraux ; aujourd’hui on innove. L’innovation est à la ‘’une’’. Uber précarise l’emploi, mais la plateforme innove. Amazon refuse que ses salariés se syndiquent et revendiquent des progrès sociaux, mais elle innove en lançant Prime Vidéo.

Bref, on innove partout à coups de rabots sur les acquis sociaux et on accroît les inégalités.

Emmanuel Macron, jeune manager dynamique, ni de droite, ni de gauche, innove en permanence ; nous ne sommes plus en République mais dans une Start-up Nation, en anglais pour faire encore plus innovant.

Mais, quand le discours commence à être éculé, Macron innove encore. La Start-up Nation est un espace trop étroit pour un tel génie de l’innovation, alors il vient d’organiser à l’Elysée un événement baptisé ‘’Scale-up Europe’’ (qu’on peut traduire par ‘’Elargir ou renforcer l’Europe’’), en présence d’entrepreneurs du numérique, d’investisseurs et d’une dizaine de ministres venus de tout le continent.

Le but de l’innovation : organiser la riposte face aux géants du numérique américains et, surtout, créer des champions européens, un argument déjà utilisé par Nicolas Sarkozy. Macron a repris un discours identique à celui de l’ex-président à talonette : « Nous devons construire un écosystème et des champions européens plus forts, et les entrepreneurs doivent pousser les gouvernements à être plus efficaces. »

On a compris le discours : les entreprises du numérique peuvent compter sur le gouvernement pour les abreuver d’aides en tous genres, en vue d’aboutir à la création de 25 licornes en 2025 (contre 15 aujourd’hui).

Licorne, encore un mot qui fait innovant ; il a émergé en 2013 dans le vocabulaire technocratique pour désigner les start-up des nouvelles technologies, atteignant une valorisation boursière d’1 milliard de dollars et dont le potentiel de croissance semble illimité grâce aux levées de fonds.

Macron en attend la création d’emplois, sans en donner ni le chiffre, ni le statut. Un pari fou (mais électoraliste) quand on sait comment se comportent les patrons de start-up avec leurs salariés.

Le Scale-up Europe, ça fait innovant, mais pour le progrès social, il est préférable de s’en remettre à la lutte syndicale.