Les milliardaires finissent toujours par s’entendre ; c’est la leçon qu’on peut tirer du duel qui a opposé pendant plusieurs mois Xavier Niel, le patron d’Iliad et de Free, à Rodolphe Saadé, le patron de CMA-CGM, spécialiste du fret maritime et à la tête d’une flotte de 583 navires porte-conteneurs, pour la prise de contrôle de La Provence, le quotidien de Marseille.
Rodolphe Saadé rachètera le journal (une bagatelle d’environ 80 millions d’euros), mais Niel n’a pas tout perdu ; les deux milliardaires se sont accordés pour implanter une imprimerie commune dans le Var, pour le quotidien marseillais et Nice-Matin, propriété de Niel.
Sans demander leur avis aux imprimeurs de Nice et de Marseille !
On s’interroge sur cet intérêt subit de Saadé pour la presse.
A moins que la 5e fortune de France considère que le contrôle de La Provence a un intérêt stratégique pour ses activités de fret maritime, puisque la CMA-CGM emploie 2900 salariés à Marseille.
A moins que la prise de contrôle d’un quotidien d’influence puisse servir au moment où l’opinion publique demande de plus en plus fortement la taxation des super-profits. Saadé est en première ligne pour défendre ses intérêts monstrueux. Au cours du premier semestre de 2022 il a réalisé un profit de 14,8 milliards d’euros, soit 4 milliards de plus que TotalEnergie, grâce à l’envolée des prix du fret (le prix d’une ‘’boîte de 20 pieds’’ est passé de 1750 à 2850 euros), si bien qu’en transportant moins de contenurs qu’en 2021, la CMA-CGM a vu son chiffre d’affaires bondir de 60 % !
Plus scandaleux encore, les opérateurs de fret maritime bénéficient d’un avantage fiscal exorbitant, inventé par les armateurs grecs, généralisé par l’Union européenne à la fin des années 1980 et transposé en toute discrétion par la France en 2003 : l’impôt sur les sociétés comme CMA-CGM est plafonné et au premier semestre Saadé a payé au titre des impôts une somme qui ne représente que 2 % de ses profits.
Le prix de rachat de La Provence n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des profits de Saadé. Qui prétend, pour se défendre, multiplier les investissements, sans préciser à qui ils bénéficieront.
Les salariés de La Provence ne verront sans doute pas leur situation s’améliorer quand leur journal devient la propriété d’un milliardaire, s’ajoutant à la longue liste des médias contrôlés par les super-riches ; seul Xavier Niel peut avoir le sourire. Il récupère 80 millions et une nouvelle imprimerie rutilante dans le Var.
Les ultra-riches peuvent s’écrier « Vive la crise ! » et les pauvres peuvent pleurer.