Gagarine, de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, est un superbe film sur les banlieues et la vie des cités populaires de l’après-guerre construites à la hâte et qui ont mal vieilli faute d’entretien. Les deux cinéastes sont très éloignés, dans leur narration, des Misérables de Ladj Ly ou de La Haine de Mathieu Kassovitz ; ceux-ci avaient beaucoup emprunté au documentaire, quand Gagarine marie avec justesse film social, poésie et onirisme.
Admirablement filmée, avec une caméra fluide et alternant les angles, la prochaine démolition de la cité d’Ivry-sur-Seine est le prétexte à montrer et faire vivre les différents sentiments et les états d’âmes de ses habitants : la solidarité et le rêve plutôt que la violence, même si elle n’est pas absente, la difficulté de se projeter ailleurs que dans ces bâtiments laissés à l’abandon, qu’ils tentent de rafistoler pour ne pas laisser démolir une part importante de leur quotidien.
On passe du film de cité au film de science fiction, de la réalité cruelle de chaque habitant à l’attachement à un lieu de vie où les pauvres ont trouvé, malgré tout, des repères et une certains philosophie, avec douceur, lentement, comme pour mieux nous faire ressentir la douleur provoquée par la démolition et le déménagement.
Les métaphores se succèdent provoquant la réflexion sur le symbole de la politique de la ville qui a lamentablement échoué. Le sentiment d’abandon des habitants progresse à chaque plan et seul le héros, Youri, semble surnager en rêvant à son désir de devenir cosmonaute comme Gagarine quand les autres se résignent à partir vers l’inconnu.
Il y a beaucoup de retenue dans ce film et beaucoup d’engagement et de dénonciation. Alséni Bathily et Lynda Khoudri sont très bons dans leur rôle respectif et apportent une touche de sincérité supplémentaire.
Le cinéma français a grand besoin de ce genre de film.