Asli Erdogan, écrivain et journaliste turque, de passage à Paris à l’invitation de l’association Les Nouveaux dissidents, est réfugiée en Allemagne, mais elle dit subir une terrible et insoutenable forme de torture mentale dans l’attente d’un procès qui n’en finit pas d’être renvoyé. Comme des milliers d’autres Turcs elle est accusée de sympathies envers ceux qui ont fomenté une tentative de coup d’état pour renverser le féroce dictateur Recep Tayyip Erdogan ?

Elle sait ce qui l’attend, vraisemblablement une condamnation à perpétuité aggravée, la pire qui soit ; en effet, le condamné croupit dans sa cellule jusqu’à ce que mort s’ensuive.

C’est le sort que connaît aujourd’hui un autre immense écrivain et journaliste apprécié, collaborateur des quotidiens Hürriyet, Milliyet, Radikal ou encore Taraf, Ahmet Altan. Son père, Çetin, fut député socialiste, et son frère, Mehmet, est un brillant économiste, également journaliste. A eux trois, ils ont fait l’objet de plus de 400 procès.

Si Mehmet a été libéré le 27 juin dernier, après avoir été condamné à perpétuité, Ahmet, lui, est incarcéré depuis septembre 2016 ; il a été condamné à perpétuité le 16 février.

A la veille de son procès, il avait réussi à faire sortir une lettre de sa prison ; elle a été publiée dans le Monde le 19 septembre 2017.

Outre que cette lettre est admirable, elle est écrite par un homme qui lutte, résiste et défie le régime dictatorial d’Erdogan. J’en retiendrai un passage émouvant :

« Attendez et écoutez ce que j’ai à vous dire avant de battre les tambours de la miséricorde. Oui, je suis détenu dans une prison de haute sécurité au beau milieu d’un no man’s land. Oui, je demeure dans une cellule où la lourde porte de fer fait un bruit d’enfer en s’ouvrant et en se refermant. Oui, ils me donnent mes repas à travers un trou au milieu de la porte. Oui, même le haut de la petite cour pavée où je fais quelques pas dans la journée est recouvert de grilles en acier. Tout cela est vrai, mais ce n’est pas toute la vérité. Les beaux matins d’été quand les premiers rayons du soleil viennent traverser la fenêtre, j’entends les chansons enjouées des oiseaux qui ont niché sous les combles de la cour, mais aussi le son étrange qui sort des bouteilles d’eau vides en plastique qu’écrasent les prisonniers. Je vis avec le sentiment que je réside encore dans ce pavillon avec un grand jardin où j’ai passé mon enfance ou alors, pour une raison bizarre et que je ne m’explique pas, dans ces hôtels français situés dans des quartiers animés. Quand je me réveille avec la pluie d’automne qui frappe à la fenêtre, je commence la journée sur les rives du Danube, dans un hôtel avec des torches enflammées qu’on allume tous les soirs. Quand je me réveille avec le murmure de la neige s’empilant de l’autre côté de la fenêtre, en hiver, je commence la journée dans cette datcha aux énormes vitres où le docteur Jivago avait trouvé refuge. Jusqu’à présent, je ne me suis jamais réveillé en prison – pas une seule fois. »

Ahmet Altan est un immense écrivain, donc, mais son œuvre est encore insuffisamment connue en France. Deux livres seulement ont été traduits (L’amour au temps des révoltes et Comme une blessure de sabre) et publiés chez Actes Sud, par Mme Nyssen.

Celle-ci n’avait pas hésité à lancer une pétition pour demander la libération d’Ahmet Altan. Aujourd’hui Mme Nyssen est ministre, nommée par Emmanuel Macron. Peut-être pourrait-elle intervenir auprès de celui qui l’a faite ministre de la culture pour lui suggérer une intervention puissante de l’Union européenne auprès d’Erdogan et obtenir la libération des milliers de prisonniers politiques en Turquie.

Si Ahmet Altan ne se réveille pas en prison, d’autres n’ont pas sa force de caractère et d’autres encore souffrent terriblement de leur situation de réfugié comme Asli Erdogan.