Le parlement européen a donc adopté par 348 voix pour, 274 contre et 36 abstentions la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique.
C’est une victoire pour de très nombreux auteurs (écrivains, réalisateurs de l’audiovisuel, plasticiens, musiciens, etc.) sur les plateformes contrôlées par les GAFAM, pillant les œuvres sans rémunérer leurs auteurs. En revanche, c’est un jour sombre pour les journalistes. Pourquoi ?
Le texte prévoit dans son article 15 (anciennement article 11) l’instauration d’un droit voisin pour les éditeurs de presse.
Les plateformes en ligne comme Google News devront rémunérer les éditeurs de journaux (quotidiens, magazines et agences) pour le référencement ou l’usage d’extraits d’œuvres journalistiques.
Mais la directive ne fixe ni les limites de ce qui donnera droit à rémunération (mieux, il est prévu des exonérations pour les courts extraits ou citations, sans plus de précision), ni le montant de la rémunération dite appropriée et proportionnelle due aux journalistes. Le texte de la directive a multiplié les phrases floues ; à dessein, comme la référence à une rémunération forfaitaire ou au contrat de rachat.
Les dangers du droit voisin des éditeurs est double pour les journalistes : d’une part, on imagine déjà éditeurs et plateformes s’entendant sur les limites et sur la rémunération, puis sur le caractère commercial des accords (donc soumis au secret des affaires, comme ce fut déjà le cas à l’AFP avec l’accord Google) pour écarter les journalistes des répartitions ; d’autre part, si des négociations s’ouvrent avec des éditeurs sur le quantum de répartition des recettes ainsi générées, elles se mèneront au niveau où la négociation est la plus délicate, à savoir l’entreprise, compte tenu d’un rapport de force insuffisant, pouvant entraîner de fortes disparités d’un titre à l’autre. Enfin, la directive dit que le droit à la rémunération courra pendant deux ans après la publication de l’œuvre. Il s’agit d’un coin enfoncé dans la législation actuelle qui prévoit une plus longue durée des droits d’auteurs (jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur). La législation s’applique à tous les auteurs, y compris aux journalistes et on sait que certains articles peuvent être reproduits plus de deux ans après leur première publication à l’occasion d’une commémoration, par exemple.
Certaines critiques pertinentes sont venues de petits éditeurs qui estiment que seuls les grands groupes propriétaires des grands médias (les plus référencés) seront les bénéficiaires des effets de la directive, accroissant, à terme, la disparité entre grands groupes et petits éditeurs et les risques de disparitions de ce qui reste du pluralisme.
D’autres voix ont estimé que l’instauration d’un droit voisin peut conduire certains éditeurs à privilégier les œuvres (les articles) susceptibles d’être référencés (pour toucher chaque jour davantage), avec, là aussi, un risque pour le traitement de l’information (privilégiant le buzz ?) et, surtout, une dépendance accrue vis-à-vis des plateformes, qu’ils prétendent combattre. Ces critiques n’ont pas été entendues.
Si la directive, globalement, est une grande avancée pour le droit d’auteur, elle est dangereuse pour le journalisme et pour l’information. Les éditeurs ne se sont pas trompés de combat.
La revendication de création d’un nouveau droit voisin par les éditeurs regroupés dans l’association IPG (Information politique et générale) n’est pas nouvelle ; elle avait fait l’objet de la publication d’un projet de loi en 2012, intitulé « Droits voisins pour les organismes de presse ».
L’exposé des motifs était éclairant quant à la finalité réelle de création d’un « droit voisin numérique » : « Il convient de créer un nouveau droit voisin du droit d’auteur qui bénéficie aux organismes de presse, lesquels regroupent les entreprises de presse, les éditeurs de presse en ligne et les agences de presse. »
Elle n’avait pas prospéré en raison de négociations de l’association IPG avec Google et de la signature d’un accord entre les deux parties à l’Elysée en février 2013, au terme duquel le moteur de recherche s’engageait à verser une somme dérisoire, sans référence à la notion de droit d’auteur, niant ainsi la notion de création et la titularité des droits des journalistes.
La position des éditeurs est constante et ancienne. Après avoir soutenu que les journaux étaient des œuvres collectives, ils avaient mis en cause la création salariée.
On pouvait lire dans le rapport de Raphaël Hadas-Lebel de décembre 2002 : « L’existence d’une rémunération au titre du droit d’auteur en dehors du salaire a été contestée dans son principe par de nombreux représentants des employeurs. Ceux-ci estiment en effet que pour les modes d’exploitation des droits de l’auteur entrant dans le champ de l’activité habituelle de l’employeur, et eu égard aux investissements consentis pour la réalisation de ces oeuvres, la rémunération de l’auteur salarié est normalement constituée par le salaire, le créateur étant ici, à titre principal, un salarié. Certains employeurs admettent toutefois que pour les modes d’exploitation autres que ceux relevant de l’activité habituelle de l’employeur, la rémunération de l’auteur salarié pourrait être fixée par la négociation collective (…) D’autre part, la réserve au profit des sociétés de perception et de répartition des droits a été jugée par les employeurs incompatible avec la gestion par l’employeur des droits de l’auteur salarié dans le cadre d’un contrat de travail. Refusant l’introduction de tiers dans les rapports entre salariés et employeurs, ils ont fait valoir que l’apport des droits de l’auteur salarié à une société de perception et de répartition des droits, outre qu’il entraînerait un double paiement par l’employeur, aurait pour effet de priver celui-ci de la maîtrise légitime de l’exploitation des droits afférents aux créations de l’auteur salarié (surtout dans l’hypothèse où la société de perception et de répartition des droits ne pourrait conférer à l’employeur une autorisation à titre exclusif), et empêcherait lesdits droits d’être comptabilisés en éléments d’actifs du fonds de l’entreprise. »
Il est illusoire de croire que les grands groupes de presse, tous passés entre les mains d’industriels comme Bolloré, Drahi, Dassault, Pinault, Kretinsky et autres, ont varié dans leur position. Bien au contraire.
Dès lors, l’adoption d’un droit voisin pour les éditeurs apparaît clairement comme la première étape de la remise en cause de la création salariée. Pour mener à bien leur sabotage, les patrons ont réédité le ‘’coup’’ de la loi Hadopi en insérant ‘’leur’’ article créant un droit voisin dans un support, la directive, accordant de nouveaux droits à tous les autres auteurs pour mieux noyer leur grossière manœuvre particulière. Qui n’est nullement fondée, compte tenu que cessionnaires à titre exclusif des droits d’exploitation des œuvres des journalistes réalisées dans le cadre de leur titre (publiées ou non), ils étaient en capacité de négocier des licences avec les plateformes. S’ils ont choisi un autre terrain, n’est-ce pas également, dans l’espoir de remettre en cause la loi du 12 juin 2009, qu’ils avaient critiqué comme trop favorables aux journalistes.
Compte tenu de toutes ces raisons, ceux qui ont cru que les patrons allaient accepter une répartition équitable des rémunérations versées par les plateformes se sont trompés et ont trompé les journalistes. Ils ont pris une lourde responsabilité. L’exemple de l’accord de l’Elysée de février 2013 entre l’association IPG et Google aurait dû les inciter à plus de clairvoyance.
Aujourd’hui (et demain) les journalistes vont devoir lutter pour que la transposition de la directive en corrige les défauts et remette en cause les cadeaux accordés jusque là aux seuls patrons, puis, créer un rapport de force dans les rédactions pour obtenir un partage équitable des recettes générées par l’exploitation secondaire des œuvres par les plateformes. Or, la directive et même la loi Assouline ne placent pas les journalistes dans une position favorable ; les atouts sont plutôt du côté des patrons. Hélas.