L’homme qui est aujourd’hui premier ministre, Edouard Philippe, souffre assurément de perte de mémoire (à moins qu’il ne feigne l’amnésie). Peu importe au fond, le résultat est aussi grave dans un cas comme dans l’autre pour la démocratie d’un pays où le concept est désormais un mot qui se vide de son sens.

Il a annoncé le recours à l’article 49-3 de la constitution pour faire adopter la loi sur la réforme des retraites quand, en juillet 2016, le député Edouard Philippe, courroucé et même indigné, avait quitté l’hémicycle du Palais-Bourbon quand Manuel Valls avait annoncé le recours au même article 49-3 pour faire adopter une loi travail œuvre d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie.

Il serait sans doute risible d’écouter les explications entre les deux personnages qui nous gouvernent.

Le spectacle est désespérant et le bon peuple assiste, comme impuissant, à un jeu de rôle dramatique pour les institutions et la démocratie. Combien de citoyens vont encore se détourner des urnes après un tel épisode : à quoi cela sert-il de voter si les décisions sont imposées par les premiers de cordée ?

Il faut le répéter au risque d’être ennuyeux : il ne faut jamais désespérer et il faut poursuivre la lutte.

J’ai trouvé dans le dernier livre, épatant, de l’autrice islandaise Audur Ava Olafsdottir, Miss Islande, de nouveaux arguments pour ne pas abandonner la lutte.

Son héroïne, Hekla, une jeune islandaise belle et intelligente, rêve de devenir écrivaine. Dans un pays exagérément patriarcal, elle se heurte aux interdits d’une société bien-pensante où la femme est confinée à la reproduction et aux tâches ménagères, sûrement pas à l’écriture. Le cercle des poètes de Reykjavik qui se réunit au café Mokka est réservé aux hommes. Dans ce pays aux dimensions réduites et gelé, les personnages, les femmes mais aussi les hommes, souffrent des préjugés accumulés et pesants, à l’image de Jon John, homosexuel moqué et brimé, contraint de cacher son homosexualité.

Mais Hekla est opiniâtre, elle lutte parce qu’elle est libre et elle finira de s’affranchir parce qu’elle est libre de penser et de rejeter une société sclérosée, qui n’aspire qu’à protéger un vieux monde.

Hekla est aux antipodes des Emmanuel Macron et Edouard Philippe ; elle est l’avenir et elle nous promet d’aller vers un nouveau monde pour peu qu’on n’abandonne pas la lutte et qu’on chasse les préjugés, les interdits et les discours bien-pensants.

Partout, et pas seulement en Islande, notre liberté de pensée est certes menacée, mais elle reste notre bien le plus précieux pour faire reculer obscurantisme, préjugés, lois liberticides et antisociales ; alors préservons cette liberté et utilisons-la.

(Audur Ava Olafsdottir, Miss Islande, éditions Zulma)