J’ai déjà parlé de notre séjour (adorable) à La Grange du Minuellou chez Catherine et Michel, à Melgven.

Une surprise (et une énigme) nous attendait cette année : Michel avait accroché au mur un superbe outil en bois sculpté et, après plusieurs sollicitations, il a accepté généreusement (comme d’habitude) de raconter l’histoire de sa faux, cet outil traditionnel utilisé par les paysans pour faire les fenaisons.

Celle-là est baptisée « faux de l’Ankou ».

D’abord, il faut décrypter. L’Ankou est un personnage de la geste bretonne, hérité de la mythologie celte, parfois considéré comme un dieu, serviteur de la mort. D’où son outil. Celui-ci a une particularité : sa lame est orientée vers l’extérieur, à l’inverse de l’outil du paysan.

La faux de l’Ankou de Michel est le résultat d’une histoire extraordinaire. Elle a été sculptée par un menuisier-ébéniste, qui, à la mort de son épouse, a sombré dans la psychose dans les années 1950.

Interné à l’hôpital psychiatrique de Saint-Avé, près de Vannes, il a sculpté, sculpté, notamment des faux de l’Ankou, avec pour tout outil un couteau à greffer.

Il lui fallait une quinzaine de jours pour une faux, dans laquelle on retrouve de nombreux symboles, dont la clé du Paradis, le serpent, l’homme, sa femme en prière, etc.

Bref, une œuvre d’art.

L’histoire dit que le directeur de l’hôpital, devant le succès des faux et des jalousies qu’elles engendraient auprès des autres malades, a mis un terme à l’activité artistique de notre menuisier.

A propos de cette faux on a parlé d’art brut, en référence aux œuvres réalisées par ceux qu’on qualifie un peu rapidement de fous.

Peut-être fallait-il être fou pour se lancer dans la réalisation de faux de l’Ankou si finement sculptées, si chargées de symboles avec un outil aussi rudimentaire qu’un couteau à greffer, mais ni aliéné, ni forcené.

Je préférerais parler d’art populaire, comme on en rencontrait dans tous les pays. Et je pense immédiatement à un papier finement découpé polonais (acheté à Zakopane et accroché à notre domicile), œuvre d’un berger utilisant un grossier ciseau à tondre les moutons.

De ce berger polonais, on n’a jamais dit qu’il était fou. Alors, pourquoi notre menuisier de Saint-Avé devrait-il encore être qualifié de fou et rester anonyme ? Cette histoire, merveilleuse et triste à la fois, donne une idée de la façon dont est traitée la psychiatrie en France.

Alors réhabilitons la faux de l’Ankou du patient de Saint-Avé et remercions Michel d’avoir eu la riche idée de l’acheter et de la faire admirer aux hôtes de Catherine. C’est un peu de l’histoire de la Bretagne et des Bretons.

Et ce n’est qu’un des trésors de la Grange du Minuellou.