Hier, dans l’autoproclamé « Grand entretien » de France Inter, Nicolas Demorand et Léa Salamé recevaient l’historien Ivan Jablonka pour son livre « Des hommes justes », qui, si j’en crois les deux journalistes, traite des masculinités. J’avoue ne pas avoir lu un ouvrage qui me paraît digne d’intérêt.

Jablonka, un historien plutôt que les inévitables ministres, les économistes bien en cours ou les syndicalistes d’accompagnement comme Berger, j’écoute attentivement.

Las, je suis affligé ; l’entretien vire à la farce et, il se trouve que ce sentiment est partagé par Matilde Meslin, journaliste à telerama.fr. Je lui emprunte quasiment tout son excellent billet (elle me pardonnera, car c’est un hommage), à lire absolument sur le site de l’hebdomadaire.

Dans la chronique « Mauvaise humeur », elle écrit en effet :

« Très vite les questions des intervieweurs semblent accusatrices, presque moqueuses. « Vous écrivez qu’il faudrait une nuit du 4 août [1789, date de l’abolition des privilèges, ndlr], où collectivement les hommes renonceraient à leurs privilèges. Carrément, une nuit du 4 août ? » s’étrangle Léa Salamé, avant de demander quels sont les privilèges des hommes. Avec sérieux, Ivan Jablonka parle de charge mentale, de plafond de verre et de sexisme dans le monde du travail : « Les privilèges du patriarcat sont partout », lâche-t-il. « Vous dites qu’aujourd’hui en Occident on est encore sous le patriarcat ? » interroge Léa Salamé, d’un ton dubitatif. Une pente glissante se profile mais l’entretien se poursuit, la journaliste affirmant dans la même phrase que le gouvernement est paritaire et qu’il compte plus de femmes que d’hommes (pas paritaire, donc).

Léa Salamé trépigne de parler séduction et consentement : « Quel est le problème avec la galanterie, Ivan Jablonka ? Avec le fait de porter la valise d’une femme ou de lui faire un compliment ? » Porter la valise d’une femme parce qu’elle est une femme, c’est sous-entendre qu’elle n’en est pas capable et qu’elle a besoin d’être secourue, explique l’auteur. La deuxième partie de l’entretien est dans la même veine, Léa Salamé qualifiant même l’essai d’« exercice sacrificiel » de la part de l’auteur. Consentement, Ligue du LOL, drague de rue… tout y passe, sauf le voile (étonnamment) ; les questions d’un autre temps s’enchaînant. Même le choix des auditeurs interrogés est critiquable.

L’interview d’Ivan Jablonka était construite sur le mode de la moquerie, le sexisme pris comme un sujet désuet dont on plaisante (« Parlez Léa, je ne veux pas faire de manterrupting ! » rigole Nicolas Demorand). Une séquence surprenante quand on sait que la chaîne essaye d’aller draguer les jeunes avec de nouvelles émissions sur le genre (Pas son genre, avec Giulia Foïs) et les pratiques amoureuses (Modern Love, avec Nadia Daam). Pas sûr qu’elle donne très envie de l’écouter en prenant ce sujet si peu au sérieux. »

Demorand et Salamé, forts des excellents résultats d’audience de la tranche 7/9 de France Inter, ont vu leur ego prendre une dimension démesurée et les vacances ne les ont visiblement pas ramené à l’humilité et au respect de l’auditeur. Et au respect de la personne interrogée.

Liront-ils même ce billet de Matilde Meslin ?

PS : J’ai dû chercher sur Internet la signification du mot manterrupting utilisé par Demorand. Wikipedia me dit qu’il s’agit de la fusion des mots anglais man et interrupting, un néologisme féministe qui désigne le comportement consistant, pour les hommes, à couper la parole des femmes au cours de discussions ou de débats en raison du genre de leurs interlocutrices.

Ah, cette maladie chronique de l’utilisation des expressions anglaises ; elle est insupportable.