Le Wall Street Journal vient de révéler que Google a entamé des discussions avec certains éditeurs français sur la mise en œuvre de la directive « droit voisin pour les éditeurs ».
Les auteurs, c’est-à-dire les journalistes, ont appris l’ouverture des négociations par le quotidien new-yorkais.
Le WSJ ajoute que des discussions exploratoires ont eu lieu avec les directions des groupes du Monde et du Figaro « portant sur le développement de nouveaux produits incluant des accords financiers en contrepartie de la publication d’informations fournies par eux. » Discussions très discrètes.
Tout s’éclaire quand on prend la peine de recouper les informations. Google et les éditeurs sont prêts à renouveler l’opération de février 2013 à l’Elysée en présence de François Hollande, où l’association patronale IPG avait signé un accord au terme duquel le moteur de recherche s’engageait à verser une somme dérisoire aux éditeurs ayant présenté des dossiers de développement des technologies numériques ; l’opération se faisant sans référence à la notion de droit d’auteur pour les journalistes.
L’AFP a repris l’information du WSJ sur les négociations, mais sa dépêche est incomplète et partiellement fausse. L’agence prétend que « Google a entamé des négociations pour arriver à des accords de licence avec des éditeurs de presse, afin d’atténuer les critiques qui accusent le géant californien de tirer des bénéfices indus de leurs informations, selon des sources proches des discussions. Les négociations entre le moteur de recherche et des organes de presse ne font que commencer, les éditeurs concernés étant pour la plupart en France et dans d’autres pays européens, d’après ces sources. »
L’AFP omet de rappeler que des discussions exploratoires ont eu lieu avec Le Monde et Le Figaro et que la position de Google n’a pas varié : le moteur de recherche a toujours refusé de payer pour les liens vers des articles générés par les médias écrits et vient de le répéter. Enfin et surtout, l’AFP omet de préciser que les accords de licence peuvent être gracieux, c’est-à-dire sans rémunération.
En outre, l’AFP feint de ne pas voir ce qui est pourtant d’une rare évidence. Google a, en effet, multiplié les campagnes de publicité dans les principaux quotidiens, Le Monde, Le Figaro et Les Echoset leurs déclinaisons magazines (M Le magazine, Télérama, L’Obs, La Vie, Le Figaro Magazine, Les Echos magazine, etc.) depuis quelques mois. Cette campagne n’était pas sans arrière-pensée. On a appris récemment (le 5 février) que Le Monde avait rejoint l’application ‘’Subscribe with Google’’ « afin de soutenir la croissance de nouveaux abonnés numériques et la fidélisation des abonnés déjà existants ».
Le vice-président de Google, Richard Gingras, n’a pas caché les véritables raisons de l’accord : « Nous avons fait connaître, il y a quelques mois, notre volonté de travailler plus étroitement avec les éditeurs de presse français et nous sommes ravis de collaborer avec les titres du Groupe Le Monde sur leur projet d’innovation ».
C’est strictement ce que rapporte le WSJ quand il parle de « développement de nouveaux produits incluant des accords financiers en contrepartie de la publication d’informations fournies par eux. »
Gingras a également cité de possibles accords portant sur le programme Google News Initiative avec les éditeurs français. On doit noter que le patron Google fait preuve de générosité envers les grands groupes contrôlés désormais par des industriels ; jamais il n’est fait mention des titres indépendants.
Il est significatif que Le Monde soit le fer de lance d’un marché de dupes (pour les journalistes, pas pour les patrons) : nos technologies à votre service pour votre développement numérique contre vos contenus.
Les journalistes, une nouvelle fois, vont être floués. Qu’y aura-t-il à négocier quand il n’y aura pas de revenus au titre du droit voisin (qui, dans la rédaction de la directive, n’interdit pas ce type d’accord) ?
Les syndicats de journalistes sont étrangement muets ; sans doute sont-ils gênés aux entournures après avoir défendu la création d’un droit voisin des éditeurs dans un même élan avec leur fédération européenne, la FEJ.
Ils avaient bien revendiqué un partage équitable des redevances avec leurs patrons, mais quand il n’y a pas de droits d’auteurs, il n’y a rien à partager.
Comment ont-ils pu croire en la bonne foi de patrons milliardaires (Niel, Arnault, Dassault, Drahi et autres) qui partagent les mêmes visions du monde de la création que Google. Pour ces gens-là, le salaire emporte cession de tous les droits, réutilisation ou d’adaptation et, si c’est nécessaire, de censure.
Le monde néolibéral ne s’embarrasse pas d’acquis sociaux ; l’exemple vient de Macron lui-même.