Le hasard ; un pur hasard. Je lis dans le somptueux catalogue du spécialiste de l’immobilier de (très) grand luxe, Daniel Féau, le ‘’mot du président’’, Charles-Marie Jottras : « Le marché du luxe continue cette année sur sa lancée de 2021, année au cours de laquelle nos ventes de biens de plus de trois millions d’euros à Paris et Neuilly avaient plus que doublé par rapport à 2019, ante pandémie. »

Interloqué, éberlué, stupéfait ! Ces quelques lignes sont incroyables. Les qualificatifs manquent pour décrire les sentiments qui, d’un coup, traversent l’esprit d’un homme sain de corps et d’esprit. La curiosité pousse à feuilleter le précieux catalogue du grand luxe de l’immobilier, dans lequel on ne trouve rien à moins d’un million d’euros. Le record se trouve à la page 169, avec un « magnifique appartement en duplex de 669 m2 donnant directement en face de la tour Eiffel et offrant une vue imprenable sur cette dernière (…) Il comprend de spacieux espaces de réception… » On veut bien le croire, dans 669 m2, il y a de l’espace. Le prix sidère un peu plus : 40 millions d’euros, soit 24 316 mois ou 2000 ans de SMIC ! Et des charges annuelles de 28 908,04 euros par an, soit près de deux ans de SMIC ! Et un prix du M2 de près de 60 000 euros! Les super-riches ont le choix ; il s’étale sur les 200 pages du catalogue.

Récemment, UNICEF France et Samu social ont dévoilé que plus de 42 000 enfants vivaient dans des hébergements d’urgence, des abris de fortune et 1500 dans la rue. Dans la France de 2022, où les ventes immobilières de plus de 3 millions ont plus que doublé !

Comment les ultra-riches peuvent s’offrir des appartements de plus de 3 millions quand la misère est sous leurs fenêtres ? Comment peuvent-ils organiser des réceptions dans de spacieux espaces quand autant d’enfants n’ont même pas une table pour faire leurs devoirs, pas d’électricité pour lire et, souvent, pas de quoi manger à leur faim ?

La France à deux vitesses est là, sous nos yeux, mais les plus riches détournent le regard, car, pour eux, l’ordre d’un monde inégalitaire est dans leur ordre. Eux ne parlent que d’optimisation fiscale, de dividendes et vomissent le montant des aides sociales qui pousseraient les pauvres à rester pauvres, à se complaire dans la misère.

Honte à un pays où de telles inégalités sont encore possibles et même s’accroissent chaque jour.

Le catalogue pue le mépris quand on y lit, page 193 : « Nous sommes implantés dans les beaux quartiers de Paris, dans les communes de l’ouest parisien, en Provence et en Normandie. » Le plumitif de service a dû se retenir pour ne pas écrire, « là où nous pouvons vivre tranquilles, entre nous, sans voir le petit peuple. ». Ce monde-là est abject ; il cultive la consanguinité grâce aux « liens étroits que nous entretenons avec la clientèle internationale et les relations anciennes qui nous lient aux gestionnaires de fortune et aux banques privées internationales ». Il se protège et il est protégé par des institutions qu’il a mises en place pour préserver ses privilèges d’un autre temps et par un président de la République qui se refuse à imposer ses fortunes indécentes.

Dans L’Homme révolté, Albert Camus a écrit : « Le fascisme, c’est le mépris. Inversement, toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. » Nous y sommes !