En 1995, déjà, de nombreux intellectuels et chercheurs étaient intervenus dans le débat public en se portant aux côtés du mouvement social. Aussitôt, leur légitimité à s’engager avait été dénoncée par les penseurs llibéraux et les principaux médias, les accusant de conservatisme et de populisme, d’archaïsme, voire de gauchisme.
Aujourd’hui, on trouve une nouvelle génération d’intellectuels pour analyser le projet de loi portant réforme des retraites et dénoncer ses mensonges.
Le mouvement de refus de la réforme phare de Macron est tel dans le pays que les libéraux doivent admettre la légitimité des intellectuels progressistes et leur apport à l’argumentaire du mouvement social. L’économiste Michaël Zemmour fait néanmoins remarquer dans l’Humanité que « le fait marquant de la période me paraît être la force et la détermination de l’intersyndicale, ainsi que l’écho qu’elle rencontre parmi la population. Au passage, si les économistes critiques finissent par être entendus, c’est bien parce que le mouvement social modifie l’espace et le temps du débat public : depuis janvier et les premières mobilisations, on ne parle que de la réforme. »
Les intellectuels critiques ont analysé en profondeur le projet d’Emmanuel Macron en le replaçant dans son contexte socio-économique. Alain Supiot, juriste et spécialiste du travail, a dénoncé le ‘’prêt-à-penser’’ des libéraux qui, écrit-il, « peut être aussi néfaste à l’intelligence que le fast-food à la santé ». Dans une longue tribune publiée dans Le Monde la formule de George Stigler de ‘’capture de la réglementation’’ « par de puissants groupes d’intérêts privés. Capture normative dont l’Union européenne est devenue, on le sait, l’un des plus hauts lieux, car son ‘’déficit démocratique’’ y laisse libre cours aux lobbys économiques. »
Pour Alain Supiot, « la démocratie est menacée lorsque la connaissance de la société est confisquée par les experts », et, dans la foulée, il dénonce « les insuffisances de la représentation parlementaire » et « la réduction des syndicats à l’impuissance » : « Dans l’imaginaire politique contemporain, l’usine est devenue une start-up, où les syndicats paraissent aussi incongrus que des courroies de transmission. S’est ainsi perdue la conscience qu’un gouvernement efficace doit se tenir informé des aspirations des ‘’larges masses’’. Ces masses sont jugées ignorantes et leurs syndicats inutiles par des dirigeants sûrs d’incarner la raison économique. » C’est à ce titre que le président de la République a refusé de recevoir les secrétaires généraux des organisations syndicales.
Emmanuel Macron a largement épousé les théories des penseurs les plus libéraux et s’est même érigé en gardien du dogme d’un pouvoir outrageusement vertical et donc autoritaire. Non sans risque. Quand Alain Supiot constate que « celui qui prétendrait gouverner ‘’en même temps’’ à bâbord et à tribord en ignorant les alertes de la vigie pourrait échapper un jour au naufrage… », Samuel Hayat, chercheur en sciences politiques, dénonce dans Télérama, un grave problème démocratique : « car en niant l’existence de cette contestation, le gouvernement nie l’existence même du peuple. »
Aujourd’hui, comme en 1995, le président de la République et son gouvernement sont totalement discrédités auprès des citoyens. Ils ont perdu la bataille de l’opinion et la bataille parlementaire en ayant recours à l’article 49.3 de la Constitution. C’est le peuple qui a désormais la capacité de refuser la réforme des retraites et les moyens de demander des comptes à un Emmanuel Macron au bord du naufrage, comme l’écrit Alain Supiot.
On assistera sans doute dans les prochains jours à des recompositions, y compris au sein de la droite. Les syndicats, relégitimés, doivent se saisir de la situation pour mettre en échec la destruction systématique des acquis sociaux et même, avec les intellectuels, à initier un nouvel espace social, en France et en Europe, dans l’unité.