Il y a deux ans de cela, dans mon dernier essai, Journalistes, brisez vos menottes de l’esprit, j’exhortais mes consoeurs et mes confrères à réagir à une confiscation sans précédent de l’information et plus généralement de la culture. Etais-je assez naïf pour croire encore à une mobilisation d’une profession malmenée et agressée chaque jour davantage, avec des appels réitérés et indignés de ses syndicats qui, hier, savaient encore dénoncer ceux qui font main basse sur l’information.
Les agressions sont quotidiennes ; Vincent Bolloré écarte Bruno Jeudy de la rédaction de Paris Match et il appelle Laurence Ferrari à la rédaction en chef du service politique du magazine ; faut-il préciser que l’impétrante a donné suffisamment de gages de docilité à Bolloré sur CNews, où elle continuera d’ailleurs à présenter l’émission Punchline, en se tenant à l’écart de la longue grève à iTélé. Aujourd’hui, on apprend que Vincent Bolloré a fait suspendre la parution d’un livre, commandé par les éditions Le Robert, à Guillaume Meurice et Nathalie Gendrot, Le fin mot de l’histoire en 200 expressions, faisant évoquer des risques de contentieux. A l’Elysée aussi, Emmanuel Macron se penche sur le contrôle de l’information en embauchant Frédéric Michel, en provenance directe de l’empire Murdoch, le père de Fox News.
Les syndicats de journalistes publient des communiqués, qu’Emmanuel Macron et Vincent Bolloré, hautains et méprisants, ne liront même pas. J’ai la nostalgie d’une époque où, à chaque méfait de Robert Hersant, l’Union nationale des syndicats de journalistes (UNSJ) appelait à la grève nationale ; le mot d’ordre était suivi largement dans toutes les rédactions. Il me sera rétorqué que, malgré tout, les puissants ont fait main basse sur tous les grands médias et que nos grèves ont été stériles. A ceux qui osent le prétendre, je répondrai de façon provocatrice : et si nous n’avions rien fait, où en serions-nous aujourd’hui ?
Les syndicats de journalistes, à commencer par celui dont je suis membre, subissent les événements et les actes de censure, les concentrations ; leur inaction me pèse. Ils doivent mettre mon indignation au crédit de mon âge avancé et de la sénilité dont ils me croient atteint. Ou de mon incompréhension de la situation nouvelle, d’un état du monde politique et syndical compliqué et incompréhensible pour un vieux journaliste d’hier.
Je persiste à m’indigner ; et à penser que le rôle d’un syndicat est d’éclairer les salariés et à les appeler à débattre des formes d’actions appropriées. Pas de rédiger des communiqués qui répètent toujours les mêmes refrains et servent de cache-sexe à leur impavidité, alors que les attentes sont grandes dans les rédactions. Seules celles du service public de l’audiovisuel semblent ne pas subir. Hélas.
Pour terminer ce billet, je voudrais rappeler aux journalistes qui, comme Laurence Ferrari, se rangent du côté des Bolloré ou Arnault qui leur donnent des os à ronger, ces phrases de Jean-Maurice Hermann à propos de l’éthique des journalistes : « La liberté pour un journaliste, c’est de pouvoir écrire ou parler conformément à ses opinions, d’orienter son travail dans le sens qu’il croit juste et utile. Quelles que soient les conditions légales et économiques et quel que soit son talent, le journaliste qui accepterait, par souci de lucre ou de carrière, de défendre indifféremment n’importe quelle thèse serait plus méprisable que la dernière des prostituées qui, elle, ne vend que son corps et y a souvent été contrainte par les injustices sociales. »
Jean-Maurice Hermann a écrit ces lignes en 1977 ; elles n’ont pas vieilli, même dans le contexte actuel. Je réitère : mais où sont les syndicats ?