Gérard Noiriel, spécialiste de l’histoire de l’immigration, vient de publier un court essai dans la collection Tracts de Gallimard que tout citoyen, tout électeur devrait lire avant d’aller voter en juin prochain. Son sous-titre, « Leçon d’histoire à l’usage des contemporains », démontre que le ‘’problème’’ de l’immigration est une vieille lune qui « s’est imposé dès les débuts de la IIIe République (…) et a ressurgi à chaque fois que notre société a été en crise ».
Gérard Noiriel dénonce cette « fuite en avant dans une politique de plus en plus répressive à l’égard des migrants » au nom d’une préférence nationale, apparue dans les discours d’un député radical, Christophe Pardon. A la tribune du Palais-Bourbon, il justifie les premières mesures répressives à partir de trois thèmes : la sécurité nationale est menacée, les immigrés ne veulent pas s’intégrer, les immigrés aggravent le chômage des Français en leur prenant leur travail. Autant de thèmes repris par l’extrême droite dans les années 1930, le Front national puis le Rassemblement national et Reconquête.
Si, après la Seconde Guerre mondiale, on a assisté à une « politique progressiste à l’égard des immigrés étrangers », la crise économique de la fin des années 1970-début des années 1980 a permis à Jean-Marie Le Pen de reprendre le slogan de la préférence nationale et, à la droite, de la réinstaller dans les débats politiques.
Gérard Noiriel constate que vingt-neuf lois sur l’immigration ont été votées depuis 1980, jusqu’à la fameuse loi ‘’Asile et immigration’’ du 19 décembre 2023, « semblable sur bien des points aux décrets-lois de 1938 », notamment la mesure qui remet à nouveau en cause le droit du sol.
L’historien fait une brillante démonstration des évolutions de la société et du rôle peu reluisant des sondages et des médias (la ‘’fait diversion’’ de l’actualité) dans ce sentiment qui grandit dans une population de rejet de l’immigré. Il dénonce Emmanuel Macron, qui « restera peut-être dans l’histoire comme le Daladier du XXIe siècle, car, en cédant à l’extrême droite sur le ‘’problème’’ de l’immigration, il a préparé le démantèlement des principes démocratiques sur lesquels repose la République françaises aujourd’hui ».
Après cette brillante leçon d’histoire, Gérard Noiriel s’interroge : « Comment combattre efficacement ces dérives ? » Pour cela il est parti de deux constats : d’une part, le recul d’acquis démocratiques en matière d’inégalités (progression du taux de pauvreté) et de nationalité ; d’autres part, la contradiction entre le nombre grandissant de mobilisations contre la loi Macron et son approbation par une majorité de Français.
Pour combattre la loi ‘’Asile et immigration’’, à coups de slogans contreproductifs et d’accusation de racisme à l’encontre de ceux qui la soutiennent, l’historien soutient qu’il serait préférable de « mettre en évidence que les Français, même quand ils défendent la ‘’préférence nationale’’, peuvent avoir de commun avec les étrangers. » Et il fait quatre suggestions : « Mobiliser le ‘’nous Français’’ pour défendre nos idéaux progressistes (…) Réaffirmer que l’immigration est ‘’une chance pour la France’’ en rappelant le rôle essentiel qu’ont joué les migrants dans notre histoire nationale (…) Continuer à expliquer qu’en s’acharnant de plus en plus contre les immigrés, on ne résoudra aucun des problèmes des Français (…) Faire vibrer des cordes identitaires susceptibles de favoriser la solidarité avec les immigrants serait un autre moyen d’élargir le ‘’nous Français’’ pour le rendre plus tolérant à l’égard des étrangers. »
Gérard Noiriel vient d’enrichir le nécessaire débat public pour sortir par le haut de cette histoire de ‘’préférence nationale’’ ; il a apporté des éléments de réflexion à ceux qui veulent éviter de confier le pouvoir aux fascistes d’extrême droite.
(Tracts n° 55, 56 pages, 3,90 €)