L’Italie, la vraie, ce n’est pas le milliardaire mafieux Berlusconi, ni même Beppe Grillo, le clown démagogique du Mouvement 5 étoiles ; ce n’est pas la raciste Ligue du Nord, ni même les mafias. L’Italie, la vraie, vit durement sa vie ; elle est dans les banlieues autour des grandes villes et dans les campagnes.
Une très grande écrivaine, Silvia Avallone, avoue aimer cette Italie-là, celle de la banlieue ; elle en dresse le portrait dans sa diversité, ses drames humains engendrés par le recours aux mirages, la drogue et l’alcool, mais aussi par ses solidarités. Silvia Avallone en est la voix et quelle voix, brillante et juste. En trois romans et d’autres écrits, ses lecteurs, de plus en plus nombreux, ont enfin découvert l’Italie, la vraie, notamment celle de la jeunesse sacrifiée par des politiques au service de leurs intérêts et de ceux des riches, symbolisée par le berlusconisme.
Avec D’acier, Silvia Avallone fait prendre conscience du drame vécu par les jeunes de Piombino confronté à la mort de la sidérurgie italienne. Dans Marina Bellezza, elle peint le désarroi d’une jeunesse tiraillée entre les mirages de la téléréalité imaginée par le berlusconisme et le problématique retour à la terre alors que l’agriculture est victime des ravages de son industrialisation. Dans Le lynx, texte très court mais époustouflant, Silvia Avallone dresse le portrait d’un homme jeune englué dans la misère sociale (et dont l’épouse cherche son salut dans la religion) rencontrant un adolescent aussi dépravé que lui ; mais cette rencontre foudroie l’adulte et va lui permettre de toucher du doigt les méfaits de sa vie sordide. Enfin, dans La vie parfaite, les personnages de l’auteure habitent les Lombriconi, immeubles sordides du quartier de Labriola à Bologne. Le contraste entre la douceur de vivre du centre de Bologne et la rudesse des Lombriconi est toujours présent, lancinant ; comment se sortir du quartier pour rejoindre la vie parfaite et vivre la maternité comme un espoir de vie plus souriante ?
Silvia Avallone a de l’empathie pour ses personnages ; elle dit elle-même aimer la banlieue. C’est une évidence et elle est sans concession pour les méfaits d’une vie qui n’est pas parfaite pour la jeunesse italienne, tout au moins pour celle qui n’a pas la chance de fréquenter les beaux lycées, celle qui se sent abandonnée. On a le sentiment à lire les très remarquables romans de Silvia Avallone que l’Italie est définitivement l’addition d’une classe aisée et d’une population de plus en plus large de laissés pour compte. Pourtant tout n’est pas aussi noir dans cette Italie-là ; les héros ne sont pas stéréotypés ; derrière chacun de ses banlieusards, il y a une telle soif de vivre, une telle pulsion que rien n’est définitif.
La vie est violente dans la banlieue, mais si ses habitants sont accablés par la brutalité sociale, il émane d’eux une telle humanité qu’elle laisse bien des espoirs pour une vie parfaite. Demain ?
Ils rêvent encore et personne ne peut leur voler leurs rêves. Dans un style éblouissant, l’œuvre de Silvia Avallone appelle à la révolte. Les filles ne se sortiront pas de leur condition en devenant des vedettes de la téléréalité, comme on tente de leur faire croire ; les garçons ne sortiront pas des Lombriconi en sombrant dans la délinquance, mais en sortant d’une vision réductrice et faussée du monde dictée par un Berlusconi et par sa télévision aseptisée.
Silvia Avallone, dont le cœur penche nettement à gauche, du côté du peuple et plus particulièrement de celui des banlieues, déclarait déjà en 2011 à Libération : « Je pense qu’on ne peut pas raconter le destin de quiconque sans le relier au théâtre social. Et contrairement à ce que raconte la «culture» télévisée italienne, ce qui se passe à nos frontières, à nos bords, nous donne de l’énergie. La mentalité individualiste de la «génération des pères» a montré ses limites. »
L’Italie redresse la tête, malgré tout, et Silvia Avallone participe à la prise de conscience collective que la vie parfaite est à notre portée, à la portée de luttes, avec une gauche retrouvée.
Silvia Avallone, qui a beaucoup d’empathie pour Gramsci, ne rejetterait sans doute pas cette phrase de Bertolt Brecht : « De qui dépend que l’oppression demeure ? De nous. De qui dépend qu’elle cesse ? De nous ». Ses romans aident à la future insurrection.