Philippe Marlière est professeur se sciences politiques à l’University College de Londres. Il a passé vingt ans au Parti socialiste avant d’adhérer au NPA ; il a soutenu la candidature de Benoit Hamon lors de la primaire socialiste de 2017. Pris à partie par Valeurs actuelles, il a répliqué dans son blog sur Mediapart. Cinglant.

Je me permets de publier de larges extraits de son billet du 15 décembre, ‘’Islamo-gauchisme, un mot pour bastonner’’, auxquels je n’ai rien à ajouter.

« L’islamo-gauchisme » est, de fait, un mot pour bastonner : c’est un terme qui cherche à faire mal, comme un coup violent qu’on porte au visage de quelqu’un. Cette agression est dirigée contre les personnes qu’on qualifie d’« islamo-gauchistes ». C’est une attaque verbale, symbolique, mais qui peut potentiellement mettre physiquement en danger la personne ainsi désignée.

Ce terme exprime un fantasme : celui d’une entente entre « l’islam » et un monde intellectuel « bourgeois » et « coupé du peuple ». Il verbalise le racisme et l’anti-intellectualisme. C’est une notion qui exprime la détestation morale, intellectuelle, voire physique des individus qui parlent des discriminations dont sont victimes les musulmans en France. Que le vocable « islamo-gauchisme » fasse partie du vocabulaire de l’extrême droite n’est guère surprenant. Qu’il soit aujourd’hui martelé par des membres du gouvernement, la majorité des médias ou certains universitaires, est inacceptable dans une société pluraliste et libérale. Ce glissement sémantique indique une dégradation inquiétante de la nature du débat public en France (…) Le langage de haine et de violence construit autour de la figure de « l’islamo-gauchiste » n’est plus l’apanage de la fachosphère et des cercles néonazis. Il a aujourd’hui rejoint le mainstream politique. Il est inouï de constater que ses locuteurs principaux se trouvent au gouvernement. Jean-Michel Blanquer a utilisé ce terme au cours d’une interview sur Europe1 après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine : « Ce qu’on appelle islamo-gauchisme fait des ravages à l’université, il fait des ravages quand l’UNEF cède à ce type de choses, il fait des ravages quand dans les rangs de La France Insoumise, vous avez des gens qui sont de ce courant-là et s’affichent comme tels. [Ils] favorisent une idéologie qui, ensuite, de loin en loin, mène au pire. » Circonstance aggravante, Blanquer est professeur de droit public. Il connaît donc le droit et il sait également que la notion « d’islamo-gauchisme » n’a aucune valeur heuristique. Pourtant, il l’emploie. Gérarld Darmanin, le ministre de l’Intérieur, a également repris le terme « d’islamo-gauchisme » à l’Assemblée nationale. Il a dénoncé des « complices intellectuels » d’actes terroristes comme celui contre l’enseignant Samuel Paty :« Je serai d’une très grande fermeté face à tous ceux qui, aujourd’hui, en se croyant progressistes, font en réalité le lit d’une forme de tolérance à la radicalité (…) Ainsi sont présentés les « islamo-gauchistes » au public : « lâches », « traîtres » (à la nation), « bobos », « droits-de-l’hommistes », « extrémistes », « anti-chrétiens » et, bien entendu, « vendus à l’islam ». Ces mots ou ces associations d’idées sortent du registre d’un débat contradictoire civilisé. « L’islamo-gauchisme » est un mot grossièrement codé qui désigne un ennemi (l’islamisme) et ses porteurs de valeurs de valise (les intellectuels de gauche critiques). Ce vocabulaire d’extrême droite crée et entretient un climat de guerre civile. Il ne nourrit pas le débat, il prend les personnes pour cible. »