J’avais eu l’honneur d’interviewer Agnès Desarthe (en compagnie de Marie Desplechin et de François Salvaing. Quel plateau) ; j’avais apprécié son naturel et son esprit pétillant, plein d’ironie retenue (ou pas). J’étais tombé sous le charme de ses livres (à l’époque Cinq photos de ma femme).

Son dernier roman m’a peut-être encore plus enthousiasmé que les précédents.

Fin, ironique et maniant la dérision avec beaucoup de brio, il est écrit dans une langue merveilleuse de précision et de poésie, La chance de leur vie, est un livre qui réjouit le lecteur (Pour ma part, il m’a transporté !)

L’incipit, comme il se doit, plonge le lecteur d’emblée dans l’ambiance :

« Hector avait une femme. Elle s’appelait Sylvie. Ensemble ils avaient un fils. Il s’appelait Lester. Un prénom anglais parce que la famille paternelle d’Hector était originaire de Penzance en Cornouailles, ou plutôt d’une bourgade située au nord de cette station balnéaire. Un village dont on taisait le nom par amour du secret. »

Cette famille sans histoire traverse l’Atlantique pour atterrir à l’université de Caroline du Nord où Hector, sexagénaire et professeur, a été nommé ; et leur vie va être bouleversée.

Hector trompe allègrement son épouse, profitant de sa (petite) notoriété dans l’univers surfait d’un campus américain. Sylvie, mère au foyer, se tourne vers l’Alliance française et se met à la poterie, en répétant sans cesse « Je ne suis rien » malgré toute la profondeur de son personnage et sa lucidité. Quant à Lester, 14 ans et particulièrement intelligent, il se fait appeler Absalom Absalom et va connaître une transformation inattendue en chef de clan avec ses copains.

Avec une ironie féroce et une minutie d’entomologiste, Agnès Desarthe va observer ce couple qui se défait, le père qui papillonne, la mère qui dénonce en creux les apparences sociales et le fils qui devient un adepte de saint Augustin, dans leurs jeux de rôles.

En 300 pages et la durée d’un séjour écourté par un scandale du fils, Agnès Desarthe aborde une multitude de thèmes. Du couple à l’adolescence en passant par l’amour, la fidélité et l’infidélité, la violence (le roman se déroule en 1995 et les attentats qui secouent la France), le rôle de la femme dans le couple et dans la vie, etc.

Bref, un grand roman. Digne de la place qu’Agnès Desarthe occupe dans notre littérature, l’une des toutes premières.