On ne louera jamais assez le courage de l’ex-ministre de la justice de François Hollande. Courage de dire non à la réforme constitutionnelle visant à déchoir de la nationalité les binationaux accusés de terrorisme. Courage d’avoir affronté avec tant de dignité les insultes racistes de la droite ou des syndicats de police en plein débat sur le mariage pour tous ou sur la réforme pénale.

Le 27 janvier 2016 restera dans notre mémoire collective : en désaccord avec François Hollande et Manuel Valls, elle a démissionné d’un gouvernement de plus en plus à droite ; le même jour, elle a écrit une phrase forte et rare dans un milieu politique où toutes les compromissions sont autorisées : « Parfois résister c’est rester, parfois résister c’est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l’éthique et au droit. »

Elle a donné une revigorante interview au Monde des livresà propos de « Baroque sarabande », son dernier livre, dans lequel elle avoue que, dans les moments de tourment, « ce sont souvent les écrivains qui viennent à la rescousse, et souvent aussi ce ne sont pas ceux auxquels je m’attends. Il y a eu ces moments à l’Assemblée nationale, où je me suis battue en citant Emmanuel Levinas, Antonio Machado, René Char. »

Elle porte un regard terrible sur la vie politique : « En politique, la plupart de ceux qui ‘’tuent’’ ne sont pas imprégnés de littérature. Enfin… Je dis ça et je pense tout de suite à François Mitterrand, qui était à la fois un amoureux de la littérature et un serial killer : la façon dont il a tué Michel Rocard relève de l’œuvre d’art… Le monde politique est intrinsèquement violent, il y a des gens qui vous écorchent, d’autres qui vous étranglent, d’autres qui vous torturent, qui vous font mourir à petit feu. Il y a les meurtres minables entre sixièmes couteaux, et puis il y a les grands meurtres spectaculaires. Au sommet de l’Etat, l’assassinat relève, hélas, de l’ordinaire. »

Elle dit aussi que « c’est la littérature qui m’éclaire sur les lieux où la parole est pertinente, et ceux où elle est gaspillée ».

Et cette grande dame, elle, n’a pas oublié d’où elle vient ; elle affirme en effet que « chez les pauvres, on est plus attaché à la culture qu’aux beaux habits. Je le sais bien, moi qui vient d’un milieu modeste. »

Le président de la République, qui s’est affublé du sobriquet égotiste de Jupiter, ne vient pas d’un milieu modeste, son épouse non plus. C’est cela qui distingue un président des riches, d’une ministre qui a fait adopter des mesures progressistes, avec opiniâtreté et beaucoup de détermination. Avec, parfois, beaucoup d’humour. Et de distinction.

Christiane Taubira, la voix du petit peuple et la joie communicative de sa Guyane, si proche de celle de Jorge Amado et de Gabriel Garcia Marquez…