Le pape François a (un peu) ébranlé l’Eglise catholique et, surtout, la curie romaine. Les adorateurs transis de Jean-Paul II et de Benoït XVI (Joseph Ratzinger), les deux vieillards cacochymes, ont dû en avaler l’hostie de travers. Si les efforts de l’ex-cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio restent certes minimes quand il s’agit d’aborder les questions de l’euthanasie et de l’avortement, du célibat des prêtres et du mariage homosexuel, le pape François apparaît moins traditionnaliste et plus tolérant que ses deux prédécesseurs.
En ce 23 décembre, on peut mesurer le lent cheminement parcouru par le monde catholique. A Dijon, à deux jours de la célébration de la naissance divine, en 1951, le clergé avait invité 250 enfants sur le parvis de la cathédrale Saint-Bénigne à brûler une effigie du père Noël considéré comme usurpateur et hérétique. L’évêque de Dijon, ultraconservateur, dénonçait depuis plusieurs années la ‘’paganisation’’ de la fête de la Nativité. L’affaire avait fait grand bruit. Faire monter le père Noël sur le bûcher était au moins aussi scandaleux que de brûler des livres au cours d’autodafés, chères à l’Inquisition et aux Nazis. Les bigotes et le bourgeois de Dijon n’avaient pas eu un mot pour condamner cet acte barbare.
Neuf ans plus tard, le clergé de Dijon et l’évêque Mgr Sembel en tête, sans doute des gens très intelligents, avaient à nouveau manifesté leur étroitesse d’esprit saint en interdisant au célèbre chanoine Kir, maire de la ville, de rencontrer son ami Nikita Khrouchtchev, dont la visite officielle en France faisait étape dans la cité des ducs de Bourgogne.
Le chanoine Kir avait publié un communiqué le 26 mars 1960 à la veille de la rencontre : « En raison de la défense qui m’a été faite par S. E. Mgr l’évêque de Dijon je ne recevrai pas M. Khrouchtchev. Une délégation de la municipalité tiendra les engagements que j’ai pris et accueillera le chef du gouvernement soviétique lundi à l’hôtel de ville. »
L’évêque, lui, avait écrit dans le bulletin de la vie diocésaine : « Nous demandons au clergé, aux communautés et aux fidèles, à l’occasion des visites réciproques de chefs d’État, de prier le Seigneur afin qu’elles fassent avancer la question de la paix dans le monde, mais ne constituent, pas une propagande favorable au communisme. Nous leur demandons aussi de continuer de prier pour l’Église du silence, pour qu’elle recouvre enfin la paix et la liberté après tant d’années de persécutions, d’emprisonnements et de martyre. En outre nous demandons aux prêtres du clergé séculier et régulier de s’abstenir de toute participation aux manifestations qui pourront se dérouler à l’occasion du passage du chef communiste athée. »
Peut-on imaginer cela aujourd’hui ?
Le chanoine Kir était de la trempe du pape François et déterminé à faire bouger l’Eglise catholique, si bien qu’il avait réussi à faire plusieurs pieds de nez à sa hiérarchie. Le 17 mai 1960, il rencontra Khroucthchev à l’ambassade soviétique à Paris puis il se rendit à Moscou en 1964 et s’entretint au Kremlin avec le leader ‘’athée’’. Enfin, le maire de Dijon devait faire ressusciter le père Noël de ses cendres encore chaudes en le faisant descendre des toits puis le long de la façade de l’hôtel de ville, largement éclairés par de puissants projecteurs pour aller saluer les enfants réunis dans la cour de la maison commune. Un geste pour rattraper la faute originelle ?
Le chanoine avait réussi avec sa gouaille à faire reculer le Dieu agent de discorde des fondamentalistes du diocèse de Dijon et à se placer du côté des hérétiques et des athées. Il était assurément irrévérencieux envers les fous de dieu et les bigotes, mais sans être pour autant hérétique et sacrilège.
Au moment où les réactionnaires convoquent Dieu pour justifier les pires délits au prétexte de s’opposer aux blasphèmes et à la profanation, il est bon de rappeler que leurs dieux, Yahvé ou Allah, restent un problème, malgré les chanoines Kir et les papes François (et combien d’autres) qui ne veulent pas tuer ou commettre des délits au nom d’un père tout-puissant ou d’un prophète.