L’un de mes écrivains préférés, José Saramago, m’avait mis l’eau à la bouche en parlant dans son blog d’un autre grand écrivain portugais, José Maria Eça de Queiroz. Il lui avait alors emprunté quelques mots pour parler de son aversion pour Silvio Berlusconi. Il écrivait : « Eça de Queiroz disait que, si nous promenions un éclat de rire autour d’une institution, elle s’écroulerait, tout en morceaux. »
On peut rire de tout ; mais peut-on encore promener un éclat de rire aujourd’hui ? L’actualité nous donne plutôt envie de verser une larme en lisant les gazettes.
En Italie, à Vérone plus précisément, les représentants de la Lega Nord, oui le mouvement de Matteo Salvini, et ceux de Fratelli d’Italia, ceux de Georgia Meloni, ont voté par 20 voix contre 7 et une abstention, la déchéance de l’écrivain Roberto Saviano, le pourfendeur des mafias (Gomorra) de sa citoyenneté d’honneur accordée par la ville en 2008.
Il a aussitôt réagi : « Dans une Vérone bigote, façonnée par Zelger et d’autres conseillers de la majorité, tout raisonnement ou proposition sur des questions faisant polémique doit être interdit. Mais Vérone vaut bien mieux que les pitres qui la représentent maintenant au conseil municipal. Il existe une ville dont je sais qu’elle est ouverte et plurielle, contrairement à l’image que certaines administrations tentent d’en donner ».
Une belle réplique, qui devrait donner néanmoins à réfléchir à tous les citoyens prêts à donner leur voix aux candidats de la famille Le Pen et à d’autres qui tendent de plus en plus à leur emprunter les idées nauséabondes.
En France, le journaliste Stéphane Guy a été licencié de Canal+ après 23 années passées sur la chaîne cryptée pour s’être montré « déloyal » envers son employeur. Il avait été préalablement mis à pied pour avoir envoyé un message de soutien à l’humoriste Sébastien Thoen, lui-même licencié par la chaîne. Ce dernier avait parodié Pascal Praud et Jean Messiha de l’émission de CNews, ‘’L’heure des pros’’.
Stéphane Guy avait alors osé dire à l’antenne :« Je veux saluer l’ami Sébastien Thoen qui n’a pas eu la sortie qu’il aurait méritée. On lui souhaite bon vent. »
Pascal Praud, pauvre pantin ridicule, habitué des dérapages franchouillards, aboyeur bouffi d’orgueil, et Jean Messiha, prétendu économiste, ex-adhérent du Front national puis du Rassemblement national, invité permanent des chaînes du groupe Canal+, sont les petits protégés de l’ultra-catholique Vincent Bolloré, le brutal patron du groupe éponyme et de Vivendi. Ceci explique cela.
A Vérone comme dans les médias du groupe de Vincent Bolloré, on ne rit pas, on a plutôt tendance à avoir peur de la bêtise des dirigeants et de leurs réactions autoritaires. On redoute aussi leur influence grandissante dans la propagation des idées d’extrême droite, celles de Silvio Berlusconi, de Marine Le Pen et de quelques autres dangereux personnages racistes, aux frontières du fascisme, véhiculant la théorie du grand remplacement et la haine de l’autre.
L’invitation d’Eça de Queiroz à promener un éclat de rire autour de ces institutions est éminemment souhaitable ; hélas, nos éclats de rire ne suffiront pas à nous débarrasser des Matteo Salvini, Georgia Meloni et Vincent Bolloré, Pascal Praud et Jean Messiha.