J’ai longtemps cru que la télévision était un formidable outil d’information, d’éducation et de divertissement. Mais plus le temps passe, plus je revois mon jugement : les étranges lucarnes sont désolantes.

Elles n’informent plus mais sont des agents de propagande ; elles n’éduquent plus mais sont souvent bêtifiantes ; elles ne divertissent plus, mais elles nous transforment en spectateurs amorphes. Je mords le trait ? Sans doute car je trouve parfois des raisons de la regarder avec intérêt. Les moments de vrai télévision sont néanmoins de plus en plus rares. Confinés sur Arte ou tard dans la nuit.

Les journalistes et les animateurs passent d’une chaîne à l’autre, du public au privé et vice-versa ; les programmes se copient et, plus fort encore, on s’invite et on rit ensemble, sans se soucier outre mesure du téléspectateur.

Roselyne Bachelot, l’ancienne ministre (pendant près de 7 ans, de 2002 à 2004 et de 2007 à 2012), est le type même de la politicienne bien recasée et devenue une animatrice vagabonde, digne de la nouvelle télévision : un jour sur D8, puis iTélé, puis Europe 1, puis RTL, puis RMC, puis France 2, puis LCI (le lecteur excusera les répétitions). Le statut d’ancienne ministre et de responsable de l’UMP ouvre beaucoup de portes.

Ces voyages incessants lui ont valu d’être une invitée permanente, pendant plus de deux mois, de l’émission C à vous, présenté par Anne-Elisabeth Lemoine sur France 5, service public. On se demande bien pourquoi.

Les deux femmes ont fait montre d’une réelle complicité au point d’échanger des courriels charmants :

« Anne-Elisa LEMOINE Merci à vous chère @R_Bachelot de nous avoir si bien accompagnés depuis début mars. Vos commentaires sont toujours passionnants. Et votre sourire est une joie. À très vite.

Roselyne Bachelot Traverser ce confinement avec vous Anne-Elisabeth était ouvrir une fenêtre sur un monde oxygéné par la bienveillance, la compétence et quelques fous rires. Je n’oublierai pas la dernière injonction de vendredi soir ! »

Ces deux chères amies font preuve d’une connivence qui dépasse les studios de télévision. Anne-Elisabeth Lemoine est la fille de l’ancienne maire (Divers droite puis UMP) de Champagne-sur-Oise et inspectrice du Trésor ; on ne s’attendait donc pas à l’entendre dénoncer la loi Bachelot de 2009 dite HPTS (pour Hôpital, patients, santé et territoires) qui a participé à la casse du service public de santé et imposé la tarification à l’acte ; on n’espérait pas un mot pour dénoncer le manque de transparence des activités de l’ex-ministre avec les laboratoires pharmaceutiques et des choix de certains experts pour siéger dans le Groupe d’expertise et d’information sur la grippe (GEIG) chargé de conseiller le gouvernement durant l’épidémie de grippe causée par le virus H1N1.

Entre amies aussi chères, on se congratule, on papote, on rit de bons mots, on se moque de ceux qui dénoncent la situation, bref on cultive l’entre soi et on se fout du téléspectateur. On révèle sa vraie nature en prenant à témoin ceux qui peuvent encore regarder ce genre d’émission. Désolant.

Ces drôles de dames n’aspirent qu’à une chose : que la télévision libérale de la startup nation continue, continue encore longtemps, pour rire sans gêne de tout et de rien. Surtout de rien. On est entre copines et on est bien.

On se croirait à la cour du roi Pétaud avec une direction de France Télévisions qui laisse faire les bouffons, mais fouette et malmène ceux qui osent réclamer simplement de faire de la vraie télévision.