Le confinement, même allégé, incite à la procrastination ; il manque un soupçon d’énergie pour être débordant de créativité.

Je lis, beaucoup ; j’écris, un peu moins ; je pense, énormément.

Hier, je me suis retourné sur moi-même et en contemplant le paysage que nous offre la société, j’ai été pris de vertige. Je suis déstabilisé et un grand trouble m’a envahi.

Devant mes yeux, des logos incontournables, la banane d’Amazon, l’oiseau de Twitter, la tête de kangourou de Deliveroo, le A stylisé d’Airbnb, ou des icônes, le f de Facebook, le U symbolisé d’Uber, clignotent et captent mon attention.

Ils m’ont donné le vertige parce que ces géants ont réussi à détourner l’invention extraordinaire que fut Internet. Les autres géants que sont Apple et Microsoft, entre autres, avaient créé des outils qui devaient faciliter les échanges et la communication avec de nouvelles générations d’ordinateurs et de logiciels. Bezos, Zuckerberg, Khosrowshahi, Dorsey et Chesky n’ont vu dans ce formidable outil qu’une machine à cash, comme ils disent, et un moyen d’asservissement des clients à leur business. Même l’anglais s’est imposé à nous. Bref, tout a basculé.

Ils sont sans limite à l’exemple de Jeff Bezos qui a commencé à vendre des livres à distance, par Internet ; aujourd’hui, il vend tout et n’importe quoi. Le prix à payer est lourd : il détruit des emplois, des commerces, il se soustrait à l’impôt, etc. Airbnb, lui, a chassé les locataires du centre des villes touristiques en faisant flamber le prix des loyers comme à Paris, Lisbonne, Berlin, Barcelone, etc.

Tous ont une même philosophie qui consiste à dégrader les conditions de travail en revenant à des pratiques moyenâgeuses avec des salariés précaires, des rémunérations à la tâche. Chez ces gens-là, on ne parle ni de sécurité sociale, ni de retraite, ni de vacances, ni de comités d’entreprise et encore moins de syndicats. On travaille et on ferme sa gueule. Si les affaires reculent, comme en ce moment, ils licencient en quelques minutes par Internet. Au diable la solidarité !

Les quelques protections que nous avions réussi à ériger pour nous prémunir des appétits patronaux sont saccagées.

Les grands personnages devant lesquels le monde doit se prosterner, ont réussi à imposer le modèle américain, celui de Trump (même s’ils disent le haïr) supplantant le modèle français pour le plus grand bonheur des patrons français et d’un gouvernement qui a détricoté le code du travail au nom d’une adaptation à la concurrence. Quelle aubaine !

Les banques ont ouvert les robinets pour accorder des crédits à ces prédateurs ; les fonds d’investissement comme BlackRock leur apportent aussi les milliards dont ils ont besoin en achetant des actions dopées aux croyances les plus folles du monde de la finance, alimentant les crises économiques et financières dont les salariés paieront aussi la note.

En me retournant, donc, je me suis aperçu que notre système et notre mode de vie ont été transformés en quelques années seulement : le plus ancien de ces géants, Amazon, a débarqué en France en 2000, Facebook en 2008, Uber en 2011, Airbnb en 2012, Deliveroo en 2015, Uber Eats en 2016. Notre monde a donc changé en une dizaine d’années ; il serait plus juste de dire que notre monde a reculé de deux siècles devant des hommes élevés aux recettes du Far West, renvoyant le bon peuple à la pauvreté. Les nouveaux patrons sont mondialisés et ils ne sont plus milliardaires mais trillionaires (Je dois confesser que je ne connaissais par le mot !).

Il est temps de refuser ce monde-là, égoïste, inégalitaire, rétrograde. Un monde fou. La crise du coronavirus a commencé à dessiller des yeux. N’ayons plus peur du vide et du vertige pour dessiner le monde de demain, sans trillionaires, un monde de partage.