Seuls les spécialistes du cyclisme connaissent le nom de Ramon Hoyos ; il s’agit pourtant d’une légende du cyclisme colombien. Le vainqueur du Tour de France en 2013 et 2015, Nairo Quintana, dit de lui qu’il est un héros national.

En revanche, nombreux sont ceux qui connaissent Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature en 1982 et auteur de tant de romans merveilleux, Cent ans de solitude, Chronique d’une mort annoncée, L’amour au temps du choléra, L’automne du patriarche, La Mala Hora, Les funérailles de la Grande Mémé, de nouvelles, de contes, de récits. Œuvre monumentale d’un immense conteur, puisant son inspiration dans les mythes populaires, le folklore et la vie quotidienne des peuples sud-américains. Il mêle réalisme et merveilleux et participe à ce courant sud-américain du réalisme magique.

On sait sans doute moins que Gabo a commencé sa carrière en 1948 à 21 ans comme journaliste aux quotidiens El Universal, El Heraldo et El Espectador. C’est ce dernier journal qui l’enverra faire un reportage sur Ramon Hoyos en 1955. Le deux hommes ne se connaissaient pas et pourtant la connivence sera immédiate ; Gabo s’installera chez le coureur pendant cinq jours et interrogera son héros à raison de cinq heures par jour. Le résultat de la rencontre entre les deux hommes, quatorze articles, étant publié sous la forme d’un feuilleton.

Et quel résultat ! Le portrait de Ramon Hoyos est du grand journalisme, tel qu’on aimerait en lire plus souvent. A la fois intimiste et rigoureux, précis et humain. Rien ne nous échappe, la psychologie de l’homme et du coureur, son approche de la compétition et de la douleur, la vie quotidienne de la Colombie des années 1950. Rien n’est laissé dans l’ombre. A cette époque, le journaliste pouvait prendre le temps d’approfondir son travail de recherche de l’information.

La forme du récit innove aussi : chaque article est scindé en deux parties. Dans la première, Gabo s’efface derrière Ramon Hoyos parlant à la première personne, puis Le journaliste reprend la main avec ce qu’il a appelé « note du rédacteur ». Jubilatoire.

Un vrai chef d’œuvre du journalisme et de la littérature. Où l’on comprend mieux Gabo quand il déclarait avoir été journaliste toute sa vie, même en écrivant ses romans, « résultat de nombreuses enquêtes, de vérifications d’informations et de rigueur historique, de fidélité aux faits ». Il avouait même que ses romans au fond sont « des grands reportages romancés ou fantastiques ».

L’éditeur so lonely a eu l’heureuse idée de ramasser les quatorze articles et les cinquante-deux feuillets du reportage de Gabriel Garcia Marquez dans un livre qui apporte un éclairage sur toute l’œuvre de l’immense écrivain colombien. A lire absolument (surtout par les journalistes).

Le triple champion dévoile ses secrets, 175 pages, 17,90 € (so lonely, avec Marabout).