La crise de l’information ? Quelle crise ?

Faut-il être troublé et malveillant pour entrapercevoir une crise quand tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ou presque.

Le président de la Fédération européenne des journalistes a décrété « 2019 is a hopeful year. » On pourrait traduire littéralement par « 2019 est une année pleine d’espoir. » Pour la profession de journaliste.

Cet éminent éditorialiste, par ailleurs syndicaliste danois s’est-il laissé aller ou délire-t-il ?

Pour Mogens Blicher Bjerregard, 2019 est porteuse d’espoir parce qu’à Malte « nous pourrions voir la possibilité de justice pour l’assassinat de Daphne Caruana Galizia », mais aussi parce que « dans l’UE, une nouvelle loi sur le droit d’auteur pourrait ouvrir la voie à des négociations plus équitables avec les géants de la technologie ».

Notre homme ne parle qu’au conditionnel.

La liste des motifs d’espoir s’arrête là ; le président se contente de peu et ignore les inquiétantes atteintes à la liberté d’informer en Pologne, en République tchèque, en Slovaquie, en Grande-Bretagne, en Italie, en Grèce, en Turquie. Au cours de ces nombreux voyages n’a-t-il rien vu, rien entendu ?

A-t-il entendu parler de la prison de Silivri où plus d’une centaine de journalistes croupissent pour avoir décrit une réalité qui déplait au dictateur Erdogan !

En France, n’a-t-il pas été averti par les syndicats adhérents que les journalistes se font matraquer et blesser par les forces de l’ordre, confisquer leur matériel, licencier (à Radio France, France Télévisions, France Média Monde, NextRadioTV, Mondadori, etc.). Que des journaux continuent de disparaître. Que l’information est malmenée par un président de la République, qui, sous prétexte de lutte contre les fausses nouvelles ou le terrorisme, fait adopter des lois liberticides.

Tous les motifs de lutte se conjuguent, eux, au présent.

Où le président d’une fédération de syndicats voit-il des motifs d’espoir, là où les syndicats, les vrais, tirent le signal d’alarme ? Hallucine-t-il ou est-il adepte de la méthode d’Emile Coué de la Châtaigneraie, censée entraîner l’adhésion de son auditoire aux idées positives qu’il prétend graver dans les esprits ? A quoi servent les syndicats pour lui ?

Ce brillant syndicaliste n’essaierait-il pas d’entraîner les journalistes sur le terrain du consensus avec les milliardaires qui ont fait main basse sur les médias ? Prendrait-il les journalistes pour des cons et des demeurés ?

N’entend-il pas de toutes parts et de tous les pays monter la colère des pigistes exploités et sous-payés ? Des rédactions qui n’en peuvent plus de devoir alimenter supports écrits, audiovisuels et réseaux sociaux dans le même temps et pour le même prix ? Des lanceurs d’alerte qui, bientôt, ne pourront plus témoigner des turpitudes des politiciens et des grandes entreprises ?

Ceux qui ne voient rien et n’entendent rien, comme Mogens Blicher Bjerregard, s’isolent et s’enferment dans une bulle mortifère.

L’Histoire jugera les co-gérants d’un capitalisme qui confisque les libertés et bâillonne les journalistes !