Quand on évoque François Morel, de qui parle-t-on ? De l’acteur, de l’écrivain, du chroniqueur, du parolier, de l’interprète, du poète, de l’humoriste ?

Ou de toutes les facettes de cet être merveilleux à la fois ?

J’avoue avoir un faible, tout à fait personnel, pour le chroniqueur du vendredi matin sur France Inter. L’exercice auquel il se livre chaque semaine est parmi les plus délicats. Car François Morel manie l’ironie avec un talent immense ; or, l’ironie est l’une des figures de style les plus difficiles à pratiquer ; qu’il s’agisse de s’essayer à l’antiphrase ironique ou à l’hyperbole ironique, voire à la litote ironique, la plupart des humoristes d’aujourd’hui s’y fracassent, à l’exception de François Morel.

Qui ne se souvient de son ironie agressive à l’égard de l’ex-ministre Luc Ferry : « Ferme ta gueule Luc Ferry, ferme ta gueule ; arrête de te regarder dans les miroirs de ta vanité. » Luc Ferry ne s’en est jamais relevé ! Ou de son exaspération à l’encontre de la petite fille qui avait proféré des insultes racistes à l’encontre de Christiane Taubira lors d’une Manif pour tous à Angers (« C’est pour qui la banane ? C’est pour la guenon. ») ; François Morel l’avait qualifiée de « petite conne » : « Mais qu’est-ce que tu vas faire de ta vie, petite conne ? Déjà si jeune et déjà percluse de ressentiment, de violence larvée, de médiocrité, de bêtise, qu’est-ce que tu vas faire de ta vie ? ». François Morel ne supporte pas le racisme ; mais il avait eu conscience d’être allé trop loin et il était revenu sur ses propos pour avouer non sans élégance : « Pardonne-moi, j’étais en colère. Je n’aurais pas du t’insulter il y a quinze jours. Mais essaie toi-même de ne pas te faire manipuler par qui que ce soit. Pardonne-moi, je retire mes insultes inappropriées. Sois heureuse, libre et fraternelle. C’est ce que je voulais dire il y a quinze jours. »

François Morel est un génial touche à tout ; il est brillant dans tous les genres qu’il aborde. Il ne s’agit pas de pièces éparses, mais bien de l’expression de sa personnalité, chaleureuse, profondément ancrée à gauche, qui fait sens.

Ce n’est pas un hasard s’il peut se permettre de reprendre Raymond Devos au Théâtre du Rond-Point à Paris, il est le seul à pouvoir le faire sans dénaturer cet autre monstre de l’ironie et de l’humour et qui l’a précédé.

Toute son œuvre est empreinte de qualité ; chanteur il a interprété ses propres textes mais il a écrit pour Juliette Gréco, Francesca Solleville ou Maurane ; au cinéma, il a travaillé avec Pascal Thomas, Jean-Michel Ribes, Gérard Mordillat ou Jean-Pierre Mocky. Au théâtre, il a joué Molière, ou Dubillard. Rien que des grands !

Bref, François Morel est l’un de nos grands artistes d’aujourd’hui, indiscutable, empreint d’un humanisme permanent. Il marque notre génération et il laissera des traces demain.

Il ne reste pas au bord du chemin ; son succès, il le doit à son engagement sincère : il combat sans relâche les préjugés, les peurs, les rancoeurs, le désespoir, avec une grande rigueur éthique.

C’est pourquoi, chaque semaine, j’attends avec impatience sa chronique sur France Inter. Ces cinq minutes d’intelligence aux antipodes de la pensée unique.