Selahattin Demirtas est en détention dans la prison de type F d’Edirne depuis 798 jours. Cette prison de triste réputation est réservée aux prisonniers politiques, qui y sont soumis à un régime particulièrement sévère.

Le crime de Selahattin Demirtas au pays du cruel dictateur Erdogan ? Etre progressiste, d’origine kurde et leader du parti HDP (Parti démocratique du peuple) qui l’a fait trembler en 2015. En vertu de quoi il a été arrêté après la tentative du putsch manqué de 2016.

Il fait l’objet de pas moins de 102 chefs d’accusation (diriger une association terroriste, incitation à la haine, à la révolte et au crime, etc.) Il risque142 ans de prison. Une telle situation et les arguments d’Erdogan pour écarter ses opposants seraient risibles si le sort des dizaines de milliers de citoyens turcs n’était pas dramatique. Le régime de Recep Tayyip Erdogan repose sur la répression et l’asphyxie de la liberté : il a emprisonné et limogé aussi bien journalistes, juges, militaires, enseignants, fonctionnaires, etc.

Dans sa cellule, Selahattin Demirtas, lui, continue son combat pour une Turquie démocratique et progressiste. En écrivant. 

Asli Erdogan, cette physicienne devenue elle aussi devenue écrivain et aujourd’hui réfugiée en Allemagne après avoir été incarcérée à Istanbul, a reçu le premier livre de Demirtas comme une révélation : « L’homme politique a permis d’imaginer une autre Turquie en 2015. En prison son rêve est devenu littérature. Et L’Aurore s’impose comme la preuve d’un remarquable talent, celui d’un écrivain. »

L’Aurore,donc, est une recueil de nouvelles dédiées « à toutes les femmes assassinées, à toutes celles victimes de violences… »Les protagonistes des douze nouvelles sont toutes des figures féminines. Dans un pays où Erdogan vise à rétablir l’islamisme ce n’est pas un hasard.

Les écrits de prison de Demirtas sont un chef d’œuvre aux grandes qualités littéraires, où se mêlent humour, tragique, tendresse, amour, difficultés de la vie quotidienne ; cependant la subversion est présente à toutes les pages, nichée au détour d’une phrase, d’un paragraphe ou dans le choix des protagonistes.

Demirtas reste debout malgré le régime qui lui est imposé, et d’un optimisme absolu ; en écrivant, il continue de résister et de lutter pour la Turquie de son rêve. L’Auroreest un hymne à la liberté et un appel à ses amis, « ceux qui sont dehors (ou plus exactement, mes amis qui croient encore être dehors) »,comme il l’écrit dans la plus drôle de ses nouvelles, titrée «Lettre à la Commission de lecture du courrier de la prison »tournant en dérision la plus cruelle des privations de liberté qui n’a pas permis au prisonnier d’envoyer ses condoléances à la famille de son meilleur ami, Bahir, universitaire qui s’était suicidé.

Chaque nouvelle questionne la politique ; chaque nouvelle est une fable et, en même temps, un hommage aux Turcs violentés par Erdogan.

L’Aurore a connu un immense succès en Turquie, où, malgré la censure, son livre a été vendu à 180 000 exemplaires. Il le mérite. La voix de Demirtas n’est pas prête d’être étouffée et c’est un encouragement pour ceux qui continuent à lutter, en Turquie et ailleurs.

Il faut lire L’Aurore.