Il faut être âgé, comme moi, pour savoir encore qui était Jean-Pierre Marchand, le réalisateur de télévision qui vient de décéder à 94 ans.

Mais cela ne justifie pas que son départ n’ait pas été relevé. C’est la raison pour laquelle je tiens à rendre hommage à l’homme de conviction qu’il était et au Résistant qu’il fut tout au long d’une vie prolifique, à l’homme qui a toujours su s’opposer quand sa conscience le lui imposait.

Il lui a fallu du courage sous l’Occupation, quand, jeune étudiant en droit, il a tourné le dos à son père devenu collabo et participé à des actions de la Résistance.

Il lui a fallu du courage quand, en 1981, il s’opposa aux conditions de la désignation de Georges Marchais comme secrétaire général du Parti communiste, avant d’en être exclu pour « activités fractionnelles » avec Henri Fiszbin.

Il lui a fallu encore du courage pour refuser les coupures publicitaires dans ses films et l’incrustation du logo de la chaîne sur ses réalisations.

Il avait débuté dans le cinéma, aux côtés d’Alain Resnais, Louis Daquin, Henri-Georges Clouzot, Yves Allégret, Gérard Philipe ou encore Joris Ivens, mais c’est vers la télévision que Jean-Pierre Marchand s’est orienté pour former avec Marcel Bluwal, Stellio Lorenzi, Claude Santelli, Claude Barma, Jean Prat, etc, ce qu’on a appelé « l’école des Buttes-Chaumont ». Ces réalisateurs, quasiment tous syndiqués à la CGT, qui ont écrit les plus belles productions de la télévision française.

«J’appartiens,disait-il, à un petit groupe de réalisateurs qui croyaient dur comme fer à la télévision. Nous l’avons choisie au détriment du cinéma. Ce n’était pas glorieux financièrement, nous étions très mal payés (…) Les gens de ma génération ont vécu beaucoup de désillusions. La plus forte aura été de voir tomber la croyance que la télévision connaîtrait un développement extraordinaire. Elle en a connu un, certes, mais sur le plan quantitatif. Plus elle se développait, plus elle devenait médiocre, moins on trouvait l’espoir de faire ce que l’on avait envie de faire.»

Jean-Pierre Marchand était imprégné du respect du public et du rôle émancipateur de la télévision : «Nous avons vécu de grandes heures où le mot culture avait tout son sens parce que ces moments étaient des moments de partage, grâce au direct notamment. On pouvait voir un micro ou une caméra sur l’écran mais le public marchait avec nous, qui tentions de donner vie à de grandes oeuvres, avec les comédiens sur le plateau, le caméraman derrière sa caméra, le réalisateur dans sa cabine. On a coupé quand les programmes ont été conçus en fonction de la course à l’audience et à la rentabilité.»

Au cours des Etats généraux de la création audiovisuelle en mars 2000, il tirait un constat amer de l’évolution de la télévision, de « sa » télévision :

« Il s’est trouvé par ailleurs, des gens pour considérer la production et la diffusion de messages et d’œuvres comme une affaire, un business, pour parler français. On les appelle des opérateurs. Certains vendent leurs programmes à des spectateurs. C’est le système du péage. Correct. D’autres ne vendent pas leurs programmes à des spectateurs. Ils vendent leurs spectateurs aux annonceurs publicitaires. À des gens qui ont pour objectif non d’aider les citoyens à échanger leurs idées, comprendre le monde où ils vivent, se reconnaître et assumer leurs différences, découvrir, en spectateurs d’œuvres infiniment différentes, ce que, dans son opacité, la vie quotidienne leur masque, en un mot à se cultiver. Mais à des gens qui ont pour objectif de vendre leurs produits par tous les moyens, y compris celui qui consiste à séduire par les méthodes les plus viles, le public le plus large, celui qu’on a défini comme le plus petit commun dénominateur. Et même, plus simplement, de faire admettre comme naturel le type de relations humaines le plus favorable au développement du commerce. »

Avec sa disparition, c’est une certaine conception de la télévision et de la culture qui s’en va…