L’assassinat d’un professeur n’est pas un fait divers ; au-delà de l’émotion et de la révolte, il doit interroger sur la place de l’enseignant dans notre pays, sans rien occulter.

L’école, de la maternelle à l’université, est un lieu où doit s’exercer la liberté, où le petit d’homme doit apprendre à être libre. Plus encore aujourd’hui qu’hier, dans un monde bouleversé et bouleversant. La tâche de l’enseignant est lourde, car il n’est pas aisé d’apprendre à être libre quand l’obscurantisme s’étend.

L’école doit être un espace de liberté absolue, où on respecte toutes les opinions et toutes les croyances, et où on prépare tous les élèves à devenir des citoyens et à prendre toute leur place dans la société.

Les cours d’éducation morale et civique, tels que ceux que dispensait Samuel Paty, sont essentiels dans cette construction du citoyen. Au sortir de la Seconde guerre mondiale, période d’intolérance absolue et de cruauté exacerbée, le plan Langevin-Wallon avait mis l’accent sur cette mission exaltante où le maître et le professeur exercent au goût de la vérité, à l’esprit libre, au sens critique.

Albert Camus, au lendemain de l’attribution du prix Nobel de littérature, avait rendu un très bel hommage à son premier instituteur : « Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. »

La plume de l’auteur de La Peste, L’homme révolté, Caligula, L’étranger, Réflexions sur la peine capitale, reconnaissait à M. Germain, son premier instituteur, le mérite de l’avoir sorti de la pauvreté et de lui avoir montré sa capacité d’intelligence et le chemin de la liberté.

Victor Hugo, avant Camus, avait eu aussi des mots de reconnaissance envers les enseignants ; en 1840, dans Faits et croyances, il écrivait : « Les maîtres d’école sont les jardiniers en intelligences humaines. »

Aujourd’hui, hélas, le monde enseignant est malmené par le pouvoir politique et par les parents. Les professeurs refusant la réforme du baccalauréat et faisant grève sont traités de ‘’preneurs d‘otages’’ par un ministre psychorigide et méprisant, qui impose des réformes rétrogrades visant à démanteler le service public et qui n’hésite pas à réprimer férocement ceux qui pointent du doigt les effets pervers des mesures annoncées. Juste avant l’assassinat odieux de Samuel Paty, quatre professeurs des écoles des Deux-Sèvres ont été traînés devant le conseil de discipline pour avoir dénoncé les épreuves communes de contrôle continu (E3C).

Le mépris envers les enseignants se mesure à la hauteur de leur salaire.

La pédagogie est de plus en plus encadrée et étouffe toute velléité d’innovation ; l’espace de liberté des enseignants est de plus en plus restreint. Toute intervention du ministre vise à les discréditer et à fustiger leurs réactions.

Stigmatiser les enseignants comme le fait en permanence Jean-Michel Blanquer alimente le dénigrement d’une frange de parents pour qui l’échec de leurs enfants à l’école est la faute des seuls professeurs. Pas du système scolaire.

La crise du coronavirus avait révélé la difficulté d’enseigner aux parents qui, à domicile, devaient surveiller le travail des enfants confinés. Aujourd’hui, faut-il déplorer la mort d’un professeur d’histoire-géographie pour rétablir la confiance ?