L’état de sidération est là, toujours aussi tenace et il n’est pas facile de s’en départir. Comment un jeune homme, tout juste majeur, a-t-il pu imaginer un acte aussi horrible que l’assassinat d’un professeur qu’il ne connaissait même pas ? Comment a-t-il pu passer à l’acte de la façon la plus inhumaine en le décapitant ? Comment a-t-il pu avoir autant de sang-froid pour perpétrer un geste ? A 18 ans et un visage de gamin.
Nous n’aurons jamais de réponse à ces questions, hélas ; elles nous auraient peut-être permis de mieux lutter contre ce fanatisme qui nous ramène à la bestialité.
L’état de sidération est là, toujours tenace, entretenu par des déclarations nauséabondes venues de partout, y compris de la bouche de ministres de la République. Si abjectes en ce qui concerne le ministre de l’intérieur qu’elles ont provoqué la juste colère de Christiane Taubira :
« Quand une personne a autant de toiles d’araignées dans la tête ; quand une personne est incapable de comprendre la société française et comprendre son histoire, de comprendre sa composition, sa force et sa vitalité ; quand une personne est absolument incapable de s’attacher à un certain nombre de principes qui sont fondamentaux et qui ont construit justement la nation française ; quand une personne est inculte à ce point, indigente moralement, politiquement, culturellement ; lorsqu’une personne est à ce point indifférente aux dégâts considérables produits par ses paroles, qui sont des insultes, incontestablement, et qui sont des déchaînements de la pensée humaine, moi, je n’en attends rien, vraiment rien. »
On ne peut pas exiger de Darmanin qu’il ait un talent oratoire aussi brillant que celui de Christiane Taubira, mais on attend d’un ministre de l’intérieur de la décence et de la retenue, un soupçon d’intelligence aussi.
Ses paroles sont une insulte insupportable à Samuel Paty ; il est scandaleux de manipuler outrageusement sa mémoire à des fins de basse politique.
L’état de sidération est là, toujours tenace et pour tenter d’en sortir, il faut lire et s’élever, réfléchir et débattre.
Lire ? Les journaux écrits ne sont pas tombés dans la vulgarité de Darmanin, contrairement aux chaînes d’information en continu comme BFM TV, CNews ou LCI. Le Monde, par exemple, a publié une très belle tribune d’une enseignante de Seine-Saint-Denis, Cloé Korman, sous le titre ‘’Pour les élèves des quartiers populaires la possibilité de s’exprimer est bafouée en permanence’’, dans laquelle elle dénonce les politiques gouvernementales qui n’ont que du mépris pour ces quartiers qualifiés de sensibles :
« Les établissements scolaires des quartiers défavorisés sont loin d’être les lieux protégés qu’ils devraient être, à cause de décisions politiques dévastatrices. »
Cloé Korman enseigne dans une banlieue où on manque de tout, professeurs, CPE, médecins scolaires, assistantes sociales, services publics « pour y assurer le calme et la sérénité ». Pour cette professeur confrontée chaque jour à la dure réalité, « ces choses-là constituent une atteinte permanente à la paix, à la concentration nécessaire pour apprendre ». Elle conclut par un constat terrible :
« Dans le feu de cette actualité où la liberté d’expression apparaît une fois de plus comme une liberté mortelle, il me semblerait utile et juste d’en parler aussi comme d’un droit, et d’envisager les moyens d’exercice de ce droit. Sans cela, on ne parle pas aux élèves de liberté d’expression, pas de cette force collective, mais on leur adresse un vain mot, un simple ‘’cause toujours’’. »
C’est Emmanuel Macron qui a enterré le rapport Borloo, qui coupe dans les budgets des villes et qui ose parler de séparatisme ; c’est son ministre de l’intérieur qui ose parler d’ensauvagement ; c’est son ministre de l’éducation qui ose parler de l’école de la confiance ; c’est ministre de l’économie qui arrose les grandes entreprises avec son plan de relance et autorise les suppressions d’emplois ; c’est sa ministre du travail qui ose parler d’égalité femme-homme en ne s’attaquant pas à une société patriarcale ; c’est sa ministre à la citoyenneté qui parle pour ne rien dire.
C’est dans ces conditions que l’obscurantisme avance et fait des ravages dans une société de plus en plus inégalitaire ; c’est dans ces conditions que la République recule.
Et on peut craindre que les choses iront en s’aggravant encore si les seuls remèdes se focalisent sur la loi de 1881 et sur une redéfinition de la laïcité, étriquée et vouée à lutter contre l’islamisme.