La culture est bien vivante. Malgré le coronavirus. Malgré la politique de restriction budgétaire d’Emmanuel Macron. Un budget à la hauteur des attentes et la culture serait belle !

Les artistes profitent du confinement pour réfléchir et donner à réfléchir. Adam Price, le réalisateur danois de la très intelligente série Borgen, est l’invité de la semaine de Télérama : il vient de réaliser une série fantastique pour Netflix, Ragnarök ; l’occasion était trop belle de l’interroger sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la plateforme américaine et sur la liberté créative qu’elle laisse aux auteurs.

Adam Price a eu l’honnêteté de répondre : « Oui, même si cela demande une grande intégrité (…) Bien sûr, Netflix m’a demandé d’élargir ma vision ici ou là, d’être explicite quand j’aurais préféré sous-entendre les choses plus subtilement (…) Il faut savoir dire non pour que sa série ne soit pas dénaturée. »

Adam Price n’est pas dupe, son statut d’auteur à succès l’a aidé face au bailleur de fonds : « J’ai de l’expérience et un CV suffisamment solide pour pouvoir tenir bon face aux diffuseurs. Mais j’ignore si, avec une telle proposition à mes débuts, j’aurais réussi à garder mon intégrité. »

D’éminents réalisateurs comme Martin Scorsese ont eux aussi trouvé refuge chez Netflix, quand l’usine à rêves de Hollywood est devenue ce que Les Cahiers du Cinéma ont appelé « l’usine à fantasy », donnant la priorité aux blockbusters ou superproductions dégageant de gros profits, plutôt qu’au cinéma d’auteur.

Ces exemples suffiront-ils à clore le débat sur Netflix et à lui décerner un brevet de mécène du cinéma ? Assurément pas, car la plateforme détourne des salles et investit dans les projets de réalisateurs confirmés, pas dans la recherche de nouveaux talents. Mais, Price et Scorsese permettent d’alimenter le débat.

Autre preuve de la culture donnant à réfléchir, la diffusion de l’opéra de Verdi, La Traviata, hier soir sur France 5. L’œuvre de Verdi m’a permis de découvrir la soprano Pretty Yende dans le rôle de Violetta.

Son talent est incommensurable ; elle est sans doute la toute première soprano de sa génération. Non seulement sa voix est merveilleuse, mais elle est une comédienne étonnante, qui donne vie à son personnage en l’habitant intensément.

Spectacle merveilleux, envoutant, cette Traviata aurait mérité un horaire de diffusion moins tardif et un public plus nombreux encore. Car l’opéra n’est pas (et ne doit pas être) réservé aux bourgeois qui fréquentent l’Opéra de Paris. Il n’y a pas une culture pour les riches et une sous-culture pour le peuple.

Pretty Yende est née en 1985 dans un township d’une petite ville industrielle d’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Elle a découvert la musique et l’art lyrique par hasard et sans doute grâce, aussi, à Nelson Mandela qui a réussi à briser les chaînes de la population noire en 1991.

En France, combien de Pretty Yende ne découvriront jamais la musique, les arts et la culture tout simplement parce qu’ils ou elles habitent dans des quartiers dits sensibles ou à problème, alors qu’il y a dans toute cette jeunesse des trésors à découvrir. Les problèmes, ce ne sont pas ces jeunes qui vivent dans des clapiers, mais la société libérale qui protège les riches et leurs privilèges. Et a colonisé la culture.

Alors, si nous luttions pour une autre société où toutes les Pretty Yende potentielles pourraient enfin exprimer leur talent. Enfin. Et s’émanciper.