Gabriel Garcia Marquez a reçu le prix Nobel de littérature en 1982. Les plus jeunes générations savent-elles que Gabo, son surnom, a été aussi un très grand journaliste, débutant à El Heraldo, à El Espectador dans son pays, la Colombie, puis dans des journaux vénézueliens, enfin à El Païs, le grand quotidien de Madrid, avant de connaître la consécration !
Les éditions Grasset ont eu la riche idée de publier un recueil de ses écrits journalistiques sous le titre ‘’Le scandale du siècle’’, titre d’un ensemble de chroniques écrites à Rome pour El Espectador en 1955.
L’un des écrits, publié en 1983 dans le quotidien madrilène El Païs sous le titre ‘’Ce tableau d’affichage des actualités’’, court, raconte une expérience étonnante :
« Depuis la troisième décennie du XXe siècle, et pendant environ dix ans, il y eut à Bogota un journal qui ne devait pas avoir beaucoup de prédécesseurs dans le monde : c’était un tableau, pareil à ceux que l’on pouvait alors voir dans les écoles, où les nouvelles de dernière minute étaient écrites à la craie blanche, et que l’on affichait deux fois par jour sur le balcon d’El Espectador. Il dominait le croisement de l’avenue Jiménez de Quesada et de la 7e rue – qui fut considérée pendant des années comme le carrefour le plus important de Colombie -, l’endroit le plus couru de la ville, surtout aux heures où apparaissait le tableau des actualités : la douzième et la dix-septième. Le passage des tramways y devenait alors difficile, sinon impossible, à cause de la presse des passants, qui attendaient avec impatience. »
Gabo poursuit son article en racontant que la rédaction du tableau était confiée à « garçon de moins de vingt ans, destiné à devenir l’un des plus grands journalistes de Colombie sans être jamais allé plus loin que l’école primaire », José Salgar.
Le futur prix Nobel a appris, lui aussi, le journalisme ‘’sur le tas’’ en gardant précieusement le conseil du préposé au tableau :
« Quand je suis entré à la rédaction d’El Espectador en 1953, José Salgar, qui en était le rédacteur en chef impitoyable, m’a donné comme règle d’or du journalisme : « Tords le cou au cygne. » (Note : Va droit au but, pas de poésie ni de merveilleux, ne te prends pas pour Shakespeare, pas de chichis…) Pour un débutant de province tout disposé à risquer sa peau pour la littérature, cet ordre n’était pas loin de l’insulte. Mais le plus grand mérite de José Salgar a été de savoir commander sans blesser, parce qu’il ne le faisait pas avec une expression imposante, mais humble. Je ne saurais dire si je l’ai écouté ou pas, mais au lieu de me sentir offensé, je l’ai remercié pour ce conseil et, depuis, nous avons toujours été complices. »
Ce billet est dédié aux hiérarchies de rédactions, imposantes et blessantes et aux jeunes journalistes (aux plus âgés aussi) qui ont de plus en plus tendance à oublier cette règle d’or : « Tords le cou au cygne ».