Simon Abkarian, acteur, dramaturge et metteur en scène, est un homme-monde. Né à Gonesse, il vit son enfance au Liban avant de fuir la guerre et s’installer à Los Angeles avant de revenir à Paris en 1985 et d’entrer dans la compagnie du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine.
L’homme a du talent ; il tourne avec les plus grands réalisateurs, Cédric Klapisch, Michel Deville, Robert Guédiguian. Tony Gatlif. Il joue sur scène Euripide, Eschyle, Shakespeare, Ramuz ou Elfriede Jelinek et reçoit le Molière du comédien en 2001 pour son interprétation de ‘’Une bête sur la lune’’ de Richard Kalinoski.
Il est également dramaturge et metteur en scène. Avec le même bonheur. Mais en restant cependant un homme discret et trop méconnu du grand public.
Sa dernière pièce, ‘’Electre des bas-fonds’’ (jouée actuellement au Théâtre du Soleil), revisite l’Antiquité et Eschyle pour parler (et de quelle manière) de notre monde.
Ce parfait honnête homme, révolté, s’est confié à L’Humanité Dimanche. J’ai retenu quelques extraits de sa brillante interview, passionnante.
« Une certaine France en veut aux rappeurs, s’inquiète parce qu’ils accaparent la parole, donc une arme qui peut être subversive. Car le dernier champ de bataille est l’imaginaire. Certains se demandent comment arriver à occuper l’esprit des gens. Par exemple, Macron fait tout pour avoir Le Pen en finale pour dire : ‘’C’est moi ou le diable.’’ Ce n’est pas une élection joyeuse, pleine d’espoir, de lumière et d’inventivité mais une élection régressive basée sur la peur de l’autre. »
‘La violence physique des rues est à la hauteur de la violence sournoise que les gens subissent de plein fouet. Rien n’a été fait pour l’apaiser. Pendant 25 ans, on a fait monter le fait ethnique et racial pour masquer le fait social. »
« Les problèmes de la France viennent-ils de l’islam ? Les problèmes de la France viennent du capital. On connaît l’histoire. On cherche quelqu’un à mettre sur le billot du grand cirque sacrificiel pour donner aux autres le temps de faire leur business. »
« Il faut remettre au centre la laïcité et dézinguer la domination et l’adoration absolue de l’argent. »
A la question de savoir dans quelle mesure ‘’Electre des bas-fonds’’ est une pièce sur les victimes collatérales, Simon Abkarian a une réponse abrupte :
« Il n’y a pas de victimes collatérales. Ce terme est une invention pour atténuer la conscience des gens. Je parle de victimes oubliées (…) On ne dit jamais la souffrance des petits, des insignifiés et des insignifiants (…) C’est un concept de riches, de puissants, pour atténuer la saloperie à laquelle ils participent. (…) Autour d’actes barbares, on invente une sémantique pour invisibiliser les gens. Les mots sont fabriqués pour plastifier la souffrance. »
Simon Abkarian parle vrai, parle fort et reste fidèle à une conception du monde humaniste, à hauteur des hommes et des femmes en proie à la folie des dominants.
Il est heureux que des voix comme la sienne puisse encore s’exprimer par la création artistique.