Nostalgie ! Il est très, très loin le temps où Charles Baudelaire nous faisait partager ‘’L’âme du vin’’ avec des vers admirables :
« Je sais combien il faut, sur la colline en flamme, / De peine, de sueur et de soleil cuisant/ Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ; / Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant, / Car j’éprouve une joie immense quand je tombe / Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux, / Et sa chaude poitrine est une douce tombe / Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux. »
L’auteur des ‘’Fleurs du Mal’’ vantait le travail des vignerons, des artisans amoureux de leurs ceps, des grappes de raisins et soucieux de tirer le meilleur d’un terroir qu’on appelle aujourd’hui ‘’climat’’.
Hélas, le meilleur vin est désormais confisqué par les milliardaires, Arnault, Pinault ou encore Rothschild, qui voient dans le travail millénaire des vignerons un investissement et une source de profits fabuleux en raison des prix exorbitants des grands crus. Le vin, un produit ? Voilà qui fait frémir.
La famille Pinault et sa filiale Artémis Domaines achète, vend au gré du marché ou de ses foucades, comme on achète et vend les produits de luxe. En janvier dernier, Artémis Domaines cédait, par exemple, le domaine Chablis William Fèvre aux Domaines de Rothschild Lafite, soit 90 parcelles de 70 hectares, insuffisamment rentables. En 2022, Pinault avait fusionné avec Maisons et Domaines Henriot, propriétaires de vignes à Pauillac, à Vosne-Romanée, dans la vallée du Rhône et du champagne Henriot (ce dernier étant aussitôt cédé à Terroirs et Vignerons de Champagne). La même année, Pinault prenait le contrôle de la vénérable maison Bouchard Père & Fils, fondée en 1731 à Beaune et propriétaire d’un patrimoine de 110 hectares. Pinault n’a pas mis longtemps à ‘’réorganiser’’ ce joyau bourguignon, abandonnant les vignes les moins prestigieuses (donc les moins rentables).
Le commerce des hectares de vignes est traité comme on traite le marché des usines ou des automobiles. Les salariés, des vignerons amoureux de leur savoir-faire et de leurs pieds de vignes, sont inquiets.
Les effets de la financiarisation ne se font pas sentir seulement dans la grande industrie. Rien ne doit échapper aux prédateurs, les milliardaires. Leur vin doit s’offrir aux gosiers des plus riches, méprisant les hommes usés qui ont mis une ardeur sans pareil pour ‘’donner l’âme du vin’’.