Jeff Bezos (Amazon), Sundar Pichai (Google), Tim Cook (Apple), Mark Zuckerberg (Facebook), Brad Smith (Microsoft), Jack Dorsey (Twitter), tous milliardaires, ont-ils une âme ? Les patrons des plus grandes fortunes boursières ont-ils encore un soupçon d’humanité niché dans un coin de leur cerveau en forme de compte en banque ?

On se gardera d’apporter une réponse péremptoire pour tous ; en revanche, Jeff Bezos vient de répondre pour lui même. Il vient d’annoncer qu’il va faire construire une horloge énorme de 60 mètres de hauteur, destinée à fonctionner pendant 10 000 ans et installée dans une montagne du Texas.

Le coût de l’opération est estimé à 42 millions de dollars, soit 38 millions d’euros !

Jeff Bezos est mégalomaniaque et provocateur comme beaucoup de ceux qui ont amassé des fortunes gigantesques en quelques années, mais, dans le contexte de pandémie, son annonce est simplement stupéfiante.

Jeff Bezos s’est signalé par un mépris sans borne pour les salariés de ses entrepôts en imposant des conditions de travail inhumaines, sans protection pour lutter contre le coronavirus : 42 millions de dollars, c’est un caprice pour le patron d’Amazon, mais cela représente combien de masques ?

Et il y a des personnalités éminentes, membres d’une Commission internationale sur l’information et la démocratie pour lancer un appel à Jeff Bezos et aux autres patrons milliardaires des technologies numériques « qui ont acquis pouvoir et fortune dans l’espace digital pour qu’ils s’engagent à un changement systémique en faveur de la fiabilité de l’information et de la responsabilité des plates-formes sur la base de principes démocratiques ».

Jeff Bezos leur a répondu par avance. Vaut-elle aussi pour les autres ?

L’appel de la fameuse commission, publié par Le Monde daté des 3 et 4 mai, ose affirmer : « Vous avez su mettre en place des mesures inédites afin de lutter contre les rumeurs ou la désinformation sur le coronavirus, quelquefois à rebours de vos doctrines établies. Nous saluons vos efforts. Néanmoins, un changement d’échelle est clairement nécessaire. »

Les efforts de Bezos ? De qui se moque-t-on ?

Les autres ‘’dirigeants des plates-formes et des réseaux sociaux’’ sont-ils vraiment plus vertueux au point de faire oublier les provocations de Bezos ? Leurs prétendues ‘’mesures inédites’’ ne concernent que le coronavirus, pas le système !

Il est triste de lire les signatures d’Emily Bell, directrice du Tow center de l’université Columbia, de Mireille Delmas-Marty, professeure au Collège de France, de Can Dundar, opposant à Erdogan en exil en Allemagne, ou de Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, au bas de l’adresse aux milliardaires du numérique.

La Journée mondiale de la liberté de la presse vaut mieux qu’un appel dérisoire et malvenu. Même si la multiplication des Journées mondiales finit par brouiller tous les messages.

Exhorter les milliardaires et faire appel à leur humanité pour lutter contre la désinformation, c’est oublier que la liberté de l’information est un combat quotidien (et pas celui d’une journée) et que les pans de liberté arrachés aux milliardaires furent toujours le fruit de luttes âpres, parfois mortelles, menées par des citoyens démocrates et progressistes avec leurs syndicats et les partis politiques de gauche.

En outre, la liberté d’information est indissociable des autres libertés, donc de la démocratie par le peuple pour le peuple. Ce que les milliardaires interpellés combattent chaque jour dans leurs groupes. Sans état d’âme.