Coïncidences de l’actualité, deux titres de nouvelles viennent d’attirer mon attention en s’entrechoquant : « Quand TF1 vend ses journalistes et animateurs sur catalogue » et « Plus de 6500 travailleurs migrants sont morts au Qatar depuis l’attribution du Mondial ».
A priori, rien ne relie ces deux informations. Et, pourtant, il m’est venu aussitôt à l’esprit que décidément l’argent est, comme l’écrivait Emile Zola dans le dix-huitième volume de la série des Rougon-Macquart, intitulé fort à propos L’Argent, « Ah ! L’argent, cet argent pourrisseur, empoisonneur qui desséchait les âmes, en chassait la bonté, la tendresse, l’amour des autres ! »
Pourquoi ?
Dans le premier cas, c’est le magazine Capital qui révèle que TF1 a réalisé un catalogue, un trombinoscope comme on dit aujourd’hui, de ses meilleurs animateurs et journalistes, les proposant aux entreprises pour animer événements, séminaires, colloques, etc. Le prix de chaque prestation est fonction de la notoriété de chacun et on apprend que le tout est géré par une filiale de la chaîne Bouygues, TF1 Factory, qui, au passage prend entre 10 et 15 % du cachet. La fameuse filiale a d’ailleurs passé accord avec le groupe des casinos Barrière pour lancer une offre baptisée Corporate Broascast, « une solution d’événements digitaux » comme on peut le lire sur le site de TF1 Factory.
Animer des événements organisés par des entreprises, cela s’appelle des ‘’ faire des ménages’’, une activité vivement condamnée dans la profession en raison des soupçons d’atteintes à l’indépendance de ceux qui traient de l’information. L’éthique des journalistes ne souffre aucune entorse.
Dans les années 1990, la direction de TF1 avait déjà émis l’idée de ponctionner un pourcentage sur les collaborations extérieures de ses journalistes. Aujourd’hui, elle franchit un pas supplémentaire dans sa cupidité et sa volonté de contrôler étroitement ses salariés. Mais aussi l’information en piétinant les principes professionnels.
Je reste néanmoins ébahi que d’aussi éminents journalistes se prêtent à ce jeu-là !
Dans le deuxième cas, le quotidien britannique The Guardian nous apprend que « Depuis l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar en 2010, 6500 travailleurs migrants sont décédés, dont un certain nombre sur les chantiers de construction et de rénovation des enceintes qatariennes. Selon plusieurs sources gouvernementales, en moyenne douze ouvriers décèdent chaque semaine. Ces derniers sont originaires du Sri Lanka, du Pakistan, d’Inde, du Bangladesh et du Népal. Les fortes chaleurs pendant une grande partie de l’année sont la cause principale des décès, au même titre que les blessures causées par une chute et les insuffisances cardiaques. »
La mort épargne les qataris : ils ne travaillent pas mais font travailler des ouvriers-esclaves, auxquels on a retiré leur passeport et on ne reconnaît aucune règle sociale.
Le gouvernement ne s’émeut guère ; selon lui, « le taux de mortalité (…) se situe dans la fourchette prévue pour la taille et la démographie de la population. » Odieux.
Mais plus odieuse encore est la réaction de la Fédération internationale de football : « La fréquence des accidents sur les chantiers de la Coupe du monde de la FIFA a été faible par rapport à d’autres grands projets de construction dans le monde ».
La gloire et la reconversion pour le Qatar et l’argent des sponsors pour la FIFA ne s’arrêtent pas à de tels détails. Odieux.
Emile Zola qui avait beaucoup étudié avant d’écrire L’Argent, avait vu juste : l’argent pourrit tout et empoisonne tout.