La ministre de la recherche, Frédérique Vidal, a osé voir dans le prix Nobel d’Emmanuelle Charpentier un motif de fierté pour l’ensemble de notre recherche et pour la chimie française.
La ministre ose tout et il lui arrive aussi de mentir effrontément. En juin, sur France Culture, elle avait osé (encore) prétendre que le laboratoire dirigé par Bruno Canard, ‘’Architecture et fonctions des micromolécules biologiques (AFMB)’’, « a obtenu plusieurs financements sur projets… Je connais par cœur les financements qu’a eu ce laboratoire. »
Sans doute, Mme Vidal était-elle irritée par les déclarations du chercheur à propos de l’état de la recherche en France et par son combat contre le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Celui-ci s’était signalé dès le 29 février dernier ; dans une interview donnée au Monde, il déclarait en effet que « Face aux coronavirus, énormément de temps a été perdu pour trouver des médicaments », faute de moyens. Quelques jours plus tard, il enfonçait le clou dans un texte où il déclarait : « J’espère par ma voix avoir fait entendre la colère légitime très présente dans le milieu universitaire et de la recherche publique en général. » Il préconisait le retour de grands programmes de recherche européens pour mieux anticiper.
Dans un nouveau texte d’une grande intelligence, ‘’La virologie est un sport de combat’’, il répond fermement aux mensonges de la ministre avec force détails.
Il utilise d’abord l’ironie : « Chère Mme la Ministre, chère Frédérique, je me permets de vous appeler par votre prénom en souvenir des cafés et bavardages créatifs que nous avons partagés lorsque, en 1992, j’étais fraîchement recruté comme chercheur au CNRS à Nice dans le laboratoire dirigé par Patrick Gaudray, et vous, doctorante dans le laboratoire de François Cuzin à l’Université de Nice. »
Puis, il argumente en démontant les mensonges de Frédérique Vidal.
Les financements lui ont été accordé chichement : « Tous les dossiers de projet ANR inlassablement déposés depuis 2015 ont été jugés indignes d’être financés et/ou inintéressants. Cinq fois, pour être précis. » Mais, ajoute-t-il : « Le SARS-CoV-2 aura donc eu un effet magique : ma recherche inintéressante sur la variabilité génétique de ce virus a subitement reçu, en juin 2020, les commentaires les plus positifs, dithyrambiques, qu’il m’a été possible de recevoir en 30 ans de carrière. »
Aujourd’hui donc, l’Europe est atteinte par une pandémie et retrouve les travaux de Bruno Canard ; elle fait appel aux chercheurs et met 10 millions d’euros sur la table mais dans des conditions étonnantes dénoncées par le chercheur : « Dans l’urgence, nous devons rédiger des programmes jour et nuit. Monter des projets en un temps record. Au bout de deux ou trois ans, le virus aura disparu et on n’en parlera plus. »
Les crédits accordés sont dérisoires et ne permettent pas aux laboratoires de fonctionner de façon efficace ; Bruno Canard dénonce alors les conditions d’embauche de jeunes chercheurs en CDD à 1 600 euros par mois et de techniciens à 1 200 euros.
Le chercheur dénonce encore le pognon de dingue accordé à la recherche privée avec le Crédit impôt-recherche et il cite les généreuses aides accordées à Sanofi pour des projets ensuite abandonnés alors que le groupe réduit ses activités de recherche, licencie 1 700 personnes dans le monde, dont 1 000 en France, tout en versant 4 milliards à ses actionnaires en 2020.
En conclusion de son éloquent réquisitoire, il fait le constat amer que « Finalement, chère Frédérique, depuis une dizaine d’années, trois présidents de la République, Nicolas Sarkozy, François Hollande, et Emmanuel Macron n’ont-ils pas eu raison de prendre les chercheur·ses et les universitaires pour des imbéciles ? », puis il termine par un appel à son ancienne collègue : « J’espère avoir correctement éclairé votre petite phrase, dans le respect de votre fonction ministérielle, respect qui finira bien un jour par être réciproque, et que in fine, mes « plusieurs financements sur projets » que vous « connaissez par cœur » continueront à soutenir nos efforts intenses contre le SARS-CoV-2 et le COVID19. »
Le désarroi des chercheurs-citoyens est au moins aussi profond que celui des soignants hospitaliers ; ils s’accrochent tous au service public avec opiniâtreté et panache quand les politiques au pouvoir font œuvre de sabotage au profit du privé.
L’intégralité du texte de Bruno Canard est accessible sur Internet ; taper ‘’La virologie est un sport de combat’’.