Beyrouth, capitale intellectuelle et commerciale, a connu tous les outrages ; on y compte plus le nombre de destructions causées par les guerres. Elle s’est toujours reconstruite sur le sang de dizaines de milliers de victimes. Retrouvant à chaque fois son esprit, malgré une crise qui s’approfondit et des travaux qui ne se terminent jamais.
Rafik Hariri, l’ami et le bailleur de Jacques Chirac a arrondi sa fortune grâce à la reconstruction du centre-ville et la société créée à cet effet et dont il était actionnaire avec de riches compatriotes et des saoudiens (Solidere). Il fut ausis premier ministre.
Les habitants qui s’étaient levés contre ce projet, et toutes les innombrables malversations de la classe dirigeante (dont la famille Hariri) n’ont rien oublié, comme le dit une représentante de la classe moyenne interrogée par Le Monde :
« J’ai toujours cru au Liban, malgré tout, malgré le seuil de nos exigences qu’ils [les politiciens] nous ont obligés à rabaisser. Ils nous ont pris nos économies [en référence à la faillite financière et aux restrictions imposées par les banques], ils nous ont pris notre avenir ; mais maintenant, c’est l’avenir de nos enfants qu’ils nous arrachent, et je ne peux pas le supporter. Des criminels régissent le pays. Je n’allume pas la télévision, pour ne pas voir les politiciens faire leur petite pièce de théâtre devant moi. Je sais qu’ils ne vont ni assumer ni s’excuser. »
Seuls les Libanais peuvent utiliser ces mots forts qu’Emmanuel Macron, lui, ne peut pas comprendre, comme en témoigne sa pitoyable opération de communication dans les rues de Beyrouth dévastée.
Le dramaturge Wajdi Mouawad est directeur du Théâtre national de la Colline à Paris ; dans une tribune, également dans Le Monde, il accuse tous les politiciens qui ont fait du Liban un territoire privilégié de leur guerre d’influence au Moyen Orient :
« Ce pays a surtout besoin qu’on encourage ses révolutions (…) La jeunesse en premier lieu refera entendre sa soif et sa colère et elle a besoin d’être soutenue pour que ceux qui écrasent ce pays soient tous, c’est-à-dire tous, défaits de leurs places à la tête du pays. Et s’il est vrai que les pouvoirs en Iran, en Israël, en Turquie, en Russie, aux Etats-Unis, en Arabie saoudite ont fait savoir leur immense émotion et leur solidarité avec le peuple libanais, ils devront pour être conformes avec leurs larmes et leurs paroles cesser, dès aujourd’hui, de faire du Liban leur instrument, celui des Iraniens contre les Israéliens, des Israéliens contre les Syriens, des Turcs contre les Européens, des Américains contre les Russes et des Saoudiens contre les Iraniens. Bien plus que de l’argent, c’est de cela dont le Liban a besoin. Mais contre cette violence-là, on craint que l’explosion qui vient d’avoir lieu soit encore trop faible. Contre la brutalité sans nom de tels Etats, il faudrait la colère de mille soleils et depuis Sophocle nous savons que les dieux sont insensibles aux injustices, lui qui mit dans la voix d’Electre cette injonction qui résonne si fort aujourd’hui : «Mais où sont donc les foudres de Zeus, où est le soleil flamboyant, si, à la vue de pareils crimes, ils restent sans agir dans l’ombre ? »
Cet extrait de la tribune de Wajdi Mouawad en dit beaucoup sur les raisons de la précipitation d’Emmanuel Macron à se rendre à Beyrouth. Qu’il veuille se mêler à cette pitoyable farce jouée par ceux qui se croient grands est indigne du pays des Lumières.
Quand le peuple du Liban crie Révolution, la France doit convoquer Voltaire, Rousseau, Condorcet, Diderot, D’Alembert, Olympe de Gouges, et combien d’autres, plutôt que le néolibéralisme d’Emmanuel Macron et de son gouvernement de droite aux ordres du MEDEF, plutôt que Poutine, Trump, Erdogan, Netanhyaou, Ben Salman ou El Assad.
Aujourd’hui, Beyrouth, capitale intellectuelle, est plus en empathie avec des esprits éclairés qu’avec les casseurs des droits sociaux et les fauteurs de guerre.