Les footballeurs français ont remporté la coupe du monde en Russie, vingt ans après leur premier succès en 1998.

Les Français ont accueilli cette victoire avec enthousiasme et une joie débordante, marquant leur volonté de sortir de l’état de morosité dans lesquels les politiques ont plongé le pays.

Les médias, eux, ont fait assaut de chauvinisme (comme d’habitude) et le président de la République a tenté de récupérer l’événement, quand les crédits alloués aux sports sont en constante régression, entraînant de nombreux clubs amateurs à mettre la clé sous la porte, privant les futurs Pogba, Mbappé ou Griezmann de structure d’accueil.

Les joueurs de l’équipe de France sont brillants, mais leur football l’est moins. La justification n’est guère convaincante : il faut d’abord gagner et peu importe la manière ! Dans une société de premiers de cordées, on oublie souvent l’essentiel ; en football aussi, où la finance a pris le pouvoir à coup de centaines de millions.

Tous les moyens sont-ils bons pour gagner ? Et doit-on placer le résultat au dessus de tout pour satisfaire à la fois les financiers, les sponsors et le chauvinisme ?

Assurément, le talent de joueurs comme Mbappé, Griezmann, Kanté, Varane, Pogba, Umtiti, Pavard, Lloris, Fékir, Nzonzi, etc. méritait de pratiquer un autre jeu, plutôt que de voir onze joueurs se recroqueviller devant leur but et lancer de fulgurantes contre-attaques, avec un gâchis important à force de grands dégagements approximatifs, donnant invariablement le ballon à l’adversaire du jour. Ils ont sacrifié leur talent pour se couler dans le collectif. Comme si le beau jeu était incompatible avec le collectif !

Didier Deschamps est encensé aujourd’hui, comme il a été critiqué hier. Il est le parfait entraîneur d’un football qui doit gagner à tout prix. Il est allé au bout de la logique, avec une certaine intelligence et beaucoup de persuasion.

Je n’aime pas cette approche du football.

En revanche, j’ai le souvenir d’une équipe de France, celle des Platini, Giresse, Tigana, Battiston, Bossis, Lacombe, Six, Rocheteau, etc. à qui Michel Hidalgo délivrait un discours opposé à celui d’aujourd’hui : « Faites-vous plaisir,disait-il avant chaque match ; si on ne gagne pas j’assume. »

Cet entraîneur d’un autre temps prônait un autre football, misant sur le talent et l’intelligence créatrice plutôt que sur une tactique défensive. A l’occasion d’une rencontre de l’Euro 1984, à Nantes, il avait surpris en alignant trois créateurs (ceux qui portent habituellement le numéro 10 dans le dos) : Platini, bien sûr, mais aussi Giresse, le Bordelais, et Genghini, le Sochalien. Résultat : victoire pour la France, 5-0, au terme d’un match éblouissant d’intelligence, de joie de jouer et de créativité de tous les instants. Pourtant l’adversaire du jour, la Belgique était, elle aussi, très brillante, avec des joueurs qui s’illustraient sur tous les terrains d’Europe, du gardien de but, Jean-Marie Pfaff à l’avant-centre Ceulemans, en passant par des créateurs comme Enzo Scifo, Frank Vercauteren, Erwin Vandenbergh, René Vandereycken ou encore Nico Claessen. Cette Belgique-là était au moins aussi brillante que celle d’aujourd’hui, dont on nous dit qu’il s’agit d’une génération exceptionnelle (que les Français ont difficilement et petitement battu 1-0 en demi-finale).

Le football subit lui aussi les changements enregistrés dans la société. Et Michel Hidalgo n’aurait hélas plus sa place dans ce jeu-là. Gloire à Didier Deschamps !

Michel Hidalgo n’a jamais remporté la coupe du monde. Deschamps, lui, a réussi un doublé : en tant que joueur et en tant qu’entraîneur.

Où est la vérité ?