Frédéric Lordon est un économiste atterré ; il parle franc et haut. Là, il n’a pas manqué l’occasion : il a trouvé le 14 mars sur le compte Twitter de Claude Askolovitch, journaliste sur France Inter (la revue de presse du 7/9) et sur Arte (émission 28’) ces quelques lignes :
« D’un ami pneumologue dans un grand hôpital parisien ; « Les connards qui nous gouvernent depuis 30 ans se rendent enfin compte de l’intérêt d’avoir plus d’infirmières, plus de médecins et une réserve de lits avec un taux d’occupation qui ne soit pas de 100 % ! »
Il a vivement réagi sur le site du Monde diplomatique le 19 mars, dans un long article dont je n’extrais que ces quelques lignes qui rassurent sur l’état d’esprit des citoyens et laissent entrevoir que Macron ne sortira pas indemne de la pandémie :
« Bien sûr ça n’est pas moi qui le dis — ça non. C’est Claude Askolovitch. Plus exactement, Claude Askolovitch rapporte les propos d’un « ami pneumologue ». Enmême temps, on sent qu’il les endosse un peu. Ça n’est pas exactement lui qui le dit mais un peu comme si quand même. En tout cas, tous les papiers de la respectabilité sont dûment tamponnés : un journaliste de France Inter et d’Arte, on pourra difficilement plus en règle. Et donc tout d’un coup, sans crier gare, le voilà qui parle, ou laisse parler, de nos gouvernants comme de « connards ».
Lordon fustige, à juste titre, Agnès Buzyn, Jean-Michel Blanquer, sans oublier le premier de cordée, ci-devant président de la République, l’infaillible Emmanuel Macron :
« Macron, comme un hipster du 11e arrondissement qui aurait fait l’atelier poésie au collège, nous invite — le 11 mars –- : « Nous ne renoncerons à rien, surtout pas à rire, à chanter, à penser, à aimer, surtout pas aux terrasses, aux salles de concert, au fêtes de soir d’été, surtout pas à la liberté », pour le 12 fermer les écoles, le 14 laisser son premier ministre annoncer un début de confinement général, et le 16 morigéner la population qui continuait sur la lancée de l’exemple qu’il lui donnait depuis des semaines ; quand on se remet sous les yeux le tableau d’ensemble de ces ahurissements, on se dit en effet que tous ces gens se sont fait prendre soit par surprise, soit par connerie. Et que l’hypothèse de la surprise étant à l’évidence exclue, il ne reste que celle de la connerie — qui n’est pas une surprise. »
La chute de son plaidoyer antilibéral est un appel pressant à l’action pour changer de modèle, enfin, avant le grand désastre :
« En réalité, une pandémie du format de celle d’aujourd’hui est le test fatal pour toute la logique du néolibéralisme. Elle met à l’arrêt ce que ce capitalisme demande de garder constamment en mouvement frénétique. Elle rappelle surtout cette évidence qu’une société étant une entité collective, elle ne fonctionne pas sans des constructions collectives — on appelle ça usuellement des services publics. La mise à mort du service public, entreprise poursuivie avec acharnement par tous les libéraux qui se sont continûment succédés au pouvoir depuis trente ans, mais portée à des degrés inouïs par la clique Macron-Buzyn-Blanquer-Pénicaud et tous leurs misérables managers, n’est pas qu’une mise à mort institutionnelle quand il s’agit du service public de la santé — où les mots retrouvent leur sens propre avec la dernière brutalité. En décembre 2019, une banderole d’hospitaliers manifestants disait : « L’État compte les sous, on va compter les morts ». Nous y sommes. Pour l’heure on dit « connards », mais il ne faut pas s’y tromper : c’est peut-être encore une indulgence. Qui sait si bientôt on ne dira pas autre chose. »
Que Frédéric Lordon soit entendu. Et vite. Pour ne pas laisser Macron tenter de ravauder le système capitaliste sur le dos des salariés.