Les médias de l’Hexagone, y compris ceux du service public, en adoration devant les bienfaits du libéralisme ? C’est un truisme. Il n’y a pas que France Inter et son ‘’éditorialiste économique’’ Dominique Seux (que l’on voit et entend sur des nombreuses chaînes et même chez son employeur, Les Echos de Bernard Arnault, grâce à une extraordinaire don d’ubiquité) à vanter la doctrine de la libre concurrence et de la libre entreprise sans entrave, semant et creusant les inégalités pour le bonheur d’un petit nombre de milliardaires.

Après l’attribution de la desserte ferroviaire entre Marseille et Nice à Transdev, les chantres médiatiques du libéralisme ont donc entonné le même refrain à la gloire du privé contre cet archaïsme que serait la SNCF.

Samuel Gontier de Télérama, qui décrypte les informations sur toutes les chaînes, est en quelque sorte l’antidote à la potion de Dominique Seux. Sa dernière chronique est un modèle qui devrait être étudié dans toutes les écoles de journalisme (on peut encore rêver) :

« Grande première sur les rails », trompette Gilles Bouleau sur TF1. « C’est une petite révolution dans le monde ferroviaire », avertit Carole Gaessler sur France 3. « Il vient de se passer quelque chose d’inédit sur les rails de France », prévient Adeline François sur BFMTV. « Pour la première fois depuis plus de quatre-vingts ans, la SNCF va perdre le monopole du transport de voyageurs », détaille Gilles Bouleau. « En France, pour la première fois, la Région Paca compte confier la liaison Marseille-Nice à Transdev à partir de 2025 », précise Anne-Sophie Lapix sur France 2… Mercredi dernier, « la première Région à ouvrir ses lignes à la concurrence » est au menu des JT, qui privilégient les reportages, et de BFMTV, qui préfère l’analyse de ses experts des chroniques éco. Mais la conclusion est la même : le transfert au privé va améliorer le service. »

On remarque l’unité de ton.

Le décryptage de samuel Gontier est fouillé ; il note l’audace de TF1 pour qui l’obsession des grèves est permanente :

« TF1 ne prend pas même la peine de s’intéresser aux conséquences sociales de cette privatisation, se contentant de solliciter une experte pour vanter qu’« une fois à bord, il y aura selon cette experte d’autres innovations pour les voyageurs ». La rédactrice en chef de La Vie du rail annonce « des automates à bord des trains. Les agents vont devenir multitâches, les contrôleurs pourront vendre des billets ». Et leur formation ? Et leurs conditions de travail ? Et leur salaire ? Mystère. Ce qui préoccupe surtout TF1, c’est : « Y aura-t-il moins de grèves ? C’est en tout cas ce qui a été observé sur la seule ligne privée de France, entre Carhaix et Paimpol. » Vivement que tous les services publics soient privatisés afin que le droit de grève cesse d’être utilisé. »

Les journalistes se réjouissent et les usagers sont également invités à se réjouir du service plus ambitieux de Transdev, avec deux fois plus de train par jour pour le même prix (les dirigeants de la SNCF sont donc soit des profiteurs, soit des incapables).

Samuel Gontier est curieux ; il a cherché et a découvert le subterfuge que les grands journalistes des chaînes privées comme publiques n’ont pas voulu voir :

« En réalité, le doublement du nombre de dessertes ne doit rien aux bonnes grâces de Transdev. Cette condition figurait dans l’appel d’offres soumis par le conseil régional. Tous les candidats à l’exploitation de la ligne ont donc chacun proposé deux fois plus de trains quotidiens… De l’art d’attribuer au privé un mérite qui revient à la collectivité publique – laquelle mobilise une belle hypocrisie pour le cacher. En prenant le train de sa communication, toutes les chaînes ont déraillé. »

Le déraillement n’a pas fait de victimes car, dans les chaînes, le mensonge ou la ‘’fake news’’ n’est plus une faute professionnelle. Tout au contraire, toute désinformation, si elle préserve le libéralisme, est autorisée.