Vincent Bolloré est devenu le premier actionnaire du groupe Lagardère, invité par Nicolas Sarkozy à aider l’héritier, Arnaud, endetté et incapable de se dépêtrer du harcèlement de fonds dits activistes, contestant sa gérance.
Vincent Bolloré n’est pas encore installé dans les bureaux de sa nouvelle proie qu’il fait déjà le ménage à Europe 1, où il a réussi à déclencher la première grève de l’histoire de cette radio.
Les méthodes Bolloré ne sont pas nouvelles ; Canal+ et iTélé (devenue CNews) en ont goûté les joies avant Europe1. J’en ai témoigné dans mon dernier livre, ‘’Journalistes, brisez vos menottes de l’esprit. On peut lire en effet :
« Vincent Bolloré est réputé brutal, ses sbires aussi qui ne le déçoivent jamais. Avec sa morgue habituelle, il déclarait dans la Tribune en 2007 : « Dans mes médias, j’ai le ‘’final cut’’. » On notera, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, qu’il emploie un possessif pour parler de ‘’ses’’ médias.
A Direct Matin puis plus récemment à i-Télé, rebaptisée CNews, Bolloré a confié la direction à un homme aussi brutal que lui (décidément c’est une qualité nécessaire pour accéder aux postes de direction !); ainsi le milliardaire breton n’a plus à intervenir lui-même sur les contenus, Serge Nedjar veille sur tout. A Canal+ et même à Comédie+ (…)
La chaîne i-Télé, autre propriété du groupe, donne un autre exemple de l’interventionnisme et de la brutalité de Bolloré et de ses lieutenants. La situation s’étant vite dégradée au sein de la chaîne, en 2016 la société des journalistes dans une lettre à la rédaction appelait les journalistes à voter une motion de défiance. Dans celle-ci, la SDJ rapportait des négociations et échanges surréalistes à propos des programmes avec Serge Nedjar : « Non, il n’y aura pas de discussions. Et je vais vous dire une chose, il n’y aura rien à discuter parce que vous ferez ce qu’on vous dit de faire. » Puis, pour se faire bien comprendre il administra une leçon de journalisme selon le groupe Bolloré à son auditoire : « Le journalisme comme vous le faites, je l’ai vu dans la presse écrite. A la moindre occasion quand on parlait d’argent, ils posaient les stylos et aujourd’hui ces journalistes, ils sont au chômage. Vos scrupules sont des débats dépassés et quand je vois des gens comme vous, ça ne me donne pas envie. » (…)
Dans ses médias, le propriétaire a effectivement le ‘’final cut’’ ; on ne compte plus les entraves à l’information : reportages en Afrique caviardés, couverture du procès des dirigeants de France Telecom surveillés de près, sujet sur le pavé lancé par un policier sur des manifestants au printemps 2019 passé à la trappe. C’est le quotidien des journalistes qui doivent ‘’faire ce qu’on leur dit de faire’’ ! La rédaction de CNews est caporalisée.
Dans certaines rédactions comme celle-ci, le journalisme c’est se soumettre à la finance et à la publicité ou partir et aller grossir la plus grosse rédaction de France, celle de Pôle emploi.
Tous les milliardaires qui ont investi dans les médias en France et ailleurs n’éprouvent que du mépris pour les journalistes ; ils n’apprécient que les plumes serves. Ils ne sont hélas pas les seuls à insulter la profession et ils n’ont pas le monopole de la petite phrase assassine pour ceux qui ont fait le choix d’informer des citoyens, refusant de se transformer en attrape-pub, en relais des informations touchant au vedettes de l’actualité, le monde ‘’people’’, ou encore en metteurs en formes des communiqués des agences de communication (quand ils en ont le temps ou quand on leur en laisse le loisir). »
Ces extraits éclairent le conflit en cours à Europe 1. Mais dans mon livre on peut en apprendre davantage encore sur la ‘’fabrique de l’information’’ dans la France de Macron. Un enjeu idéologique, financier et, pour tout dire, un problème de liberté d’expression et d’information.
Journalistes, brisez vos menottes de l’esprit, Editions Maïa, 19 €.