Daniel Mordzinski est un photographe ou plutôt un artiste. Surnommé le ‘’photographe des écrivains’’ et né à Buenos-Aires, il s’est spécialisé dans les clichés des auteurs ibéro-américains.
Il est devenu un ami intime de l’auteur chilien Luis Sepulveda et de son épouse, Carmen Yanez ; Luis et Carmen, appelés Lucho et Pelusa par leurs amis, ont été des militants communistes et, à ce titre, ont connu les geôles de Pinochet et l’exil. Douloureux.
Daniel Mordzinski a voulu rendre hommage à Lucho, emporté par le Covid en 2020 ; il a rassemblé dans ‘’Un doute et une certitude’’ (Editions Métailié), des textes inédits de son ami et il les a illustrés avec ses photos, pour assouvir son « besoin de mettre un point final à ce deuil ». Le livre est beau, émouvant et rappelle quel immense écrivain était Lucho ; il vient également rappeler qu’il faut aussi un grand journaliste, qui a couru la pige avant de devenir un auteur reconnu. Mais, jamais, Lucho n’a oublié les conditions d’exercice du journalisme de ses débuts : il a écrit, dans la préface de ‘’Dernières nouvelles du Sud’’ (2012) :
« L’idée de ce livre est née un après-midi de 1996, en buvant du maté à Paris. Avec Daniel Mordzinski, mon socio (terme qui désigne un ami, un camarade, un coéquiper, NdT) dans tout ce qui va suivre, nous avions envie de dépasser la relation d’éternel concubinage texte-photo qui nous avait amenés à faire des reportages à travers le vaste monde pour des revues et des journaux. Il s’agissait toujours de commandes dont la longueur et le nombre de photos étaient prévus d’avance et qui, au moment d’être publiées, étaient souvent assujetties à des volontés oscillant entre le politiquement correct et la peur de perdre son travail. La censure moderne exercée non par la crainte du chômage mais par celle d’être ‘’exclu du marché’’ n’interdit pas, elle biffe, coupe, ‘’édite’’ au nom d’une lâche circonspection, d’une prudence pusillanime. »
Quelques années plus tard, la censure moderne décrite par Lucho n’a pas varié. Et les journalistes rémunérés à la pige sont toujours soumis aux mêmes ‘’lois’’ des hiérarchies asservies dans les rédactions.
La Conférence des écoles de journalisme a organisé le 4 octobre dernier, les Etats généraux de la formation et de l’emploi des jeunes journalistes avec l’objectif « d’améliorer les conditions d’entrée dans le métier des jeunes journalistes » mais aussi « de renforcer le dialogue entre les étudiant.es, les jeunes diplômé.es et les rédactions, afin de réduire l’écart entre leurs attentes et la réalité de l’exercice du métier de journaliste. » En oubliant (mais est-ce un oubli ?) de remettre en cause les pratiques des hiérarchies. C’est donc aux journalistes, pigistes ou pas, de se plier à la censure et de rapporter une information aseptisée.
Les organisateurs n’ont sans doute pas lu Luis Sepulveda !